Le choix de Sophie
Été 1969. Skip tourne les pages du journal et s'arrête sur une annonce : « Perdu 16 juillet après-midi quartier Champs-Élysées, anneau argent avec inscription : Katerine-6-5-9. Forte récompense. Répondre au journal qui transmettra ».
Pas besoin de vérifier dans sa poche intérieure, cette alliance, il l'a subtilisée. Il avait flairé le bon coup, avait été déçu de ne pas trouver de portefeuille ou de montre. L'alliance, elle, était venue toute seule bien que cette manipulation soit parmi les plus difficiles pour un pickpocket. Skip pourrait obtenir un beau pactole en la restituant mais prend peur quand il s'aperçoit qu'il a détroussé Grégoire Molyneux, un caïd des affaires et de la finance. Et Katerine, quel genre d'épouse est-elle ? Skip d'ordinaire se contente de croiser ses victimes, il ne les suit pas. C'est pourtant ce qu'il fait en emboîtant le pas de Katerine. En épiant les Molyneux, il dérobe désormais une partie de leur vie. Quitte à révéler la sienne.
Le sens de l'observation est essentiel quand on est pickpocket. Jean-Hubert Gailliot le possède aussi, au plus haut degré, en recréant de manière frappante l'ambiance du Paris de la fin des années 1960. Mêlant roman noir et étude de moeurs, il fait se croiser deux mondes qui habituellement ne se mélangent pas, celui des bourgeois et celui des voyous.
À peine Paul s'est-il décidé à remplacer sa vieille bicyclette que le drame se produit : son nouveau vélo est volé. Et ce qui pourrait être une histoire banale va prendre des proportions folles : Paul se lance dans une enquête éperdue pour récupérer son bien, va voir la police comme on jette une bouteille à la mer, se dispute avec sa compagne qui ne partage pas son analyse de la situation... Alors, jouant le tout pour le tout, il tente de pister son voleur sur Facebook Marketplace.
À partir d'un fait minuscule, Bruno Gibert parvient à nous entraîner dans une spirale où la conversation des protagonistes nous tient en haleine comme dans un roman à suspense.
Aux voleurs, récit aussi loufoque que sérieux, est un conte moral qui interroge notre rapport à la loi, mais surtout au destin.
Au royaume du hasardje suis le maître du tempstransporte des milliers de coeursdes millions de battementsIl me suffit de cravater quelques commutateurset j'avancerai l'heure de chacun d'entre euxJe ne sonne pas le tocsin, ni ne détiens de pouvoir divinje conduis le train
L'Établi, ce titre désigne d'abord les quelques centaines de militants intellectuels qui, à partir de 1967, s'embauchaient, « s'établissaient » dans les usines ou les docks. Celui qui parle, ici a passé une année, comme O S. 2, dans l'usine Citroën de la porte de Choisy. Il raconte la chaîne, les méthodes de surveillance et de répression, il raconte aussi la résistance et la grève. Il raconte ce que c'est, pour un Français ou un immigré, d'être ouvrier dans une grande entreprise parisienne.
Mais L'Établi, c'est aussi la table de travail bricolée où un vieil ouvrier retouche les portières irrégulières ou bosselées avant qu'elles passent au montage.
Ce double sens reflète le thème du livre, le rapport que les hommes entretiennent entre eux par l'intermédiaire des objets : ce que Marx appelait les rapports de production.
«Sur le boulevard Voltaire, il y a des constructions, des actions, des objets, lacrymos, baïonnettes, banderoles, canons, mégaphones, affiches, choses, bidules, films, flippers, clous, enseignes, foulards, tracts, drapeaux, guillotines, huîtres, autobus, et surtout des femmes et des hommes, cantinières, rapatriés, maraîchers, gardes, casquettiers, patrons, ébénistes, déportés, charpentiers, blanchisseuses, plombiers, empereurs, enfants, institutrices, poètes, rois, soldats, policiers, pompiers, concierges, fous, couturières, grisettes, artisans, otages, fusillés, ouvriers, ivrognes, et même des lions.»Pour écrire leurs histoires, Michèle Audin s'est arrêtée à quatorze adresses du boulevard. Lieux de drames, de révoltes, et également de souvenirs personnels et intimes dont elle retrouve, par le travail de l'écriture, l'impalpable intensité.Autre traversée, ce récit est suivi de trente-cinq poèmes, chacun consacré à un des ponts qui permettent de franchir la Seine à Paris.
Le citadin est un petit bulletin périodique, clandestin, fait-main, qui paraît «subrepticement, de temps à autres, dans le XXème arrondissement de Paris» entre 1997 et 2010. Pendant plus de dix ans, Jacques Réda s'amuse à façonner et composer artisanalement les matrices manuscrites de chaque numéro, les tirant à quelques dizaines d'exemplaires et les distribuant à son entourage d'amis poètes, peintres et écrivains. Entre folie fictive et références au réel, ces feuilles confidentielles accueillent poèmes, récits, articles, reportages, chroniques locales, critiques littéraires, gastronomiques et autres. Chaque témoignage de la vie parisienne s'élabore d'un humour subtil et d'une plume que l'on sait terriblement érudite. Celle d'un promeneur qui, en espace urbain comme champêtre et face à l'époque traversée, a su rester attentif aux détails du quotidien, là où la poésie s'insinue. De cette trentaine de numéros, une oeuvre de plus de six cents pages voit le jour.
Réservées à quelques proches et inédites jusqu'ici, notre édition les reproduit intégralement en un fac-similé historique, imprimé sur papiers de couleurs.
Je voudrais raconter les éditions de Minuit telles que je les voyais enfant. Et aussi mon père, Jérôme Lindon, comme je le voyais et l'aimais. Y a-t-il des archives pour ça? Et comment être une archive de l'enfant que j'ai été?
1983-2023 : depuis quarante ans, les éditions P.O.L ont affirmé leur place dans le champ de l'édition française. Une place décisive pour l'émergence et la définition de ce qu'on peut appeler le contemporain en littérature, comme en témoignent les contributions rassemblées dans cet ouvrage, qui réunit des universitaires, des auteurs et autrices, et les responsables de la maison d'édition. Il s'agit de montrer comment P.O.L a pu non seulement refléter mais, plus encore, donner forme au contemporain, en raison de la personnalité et des choix de ses éditeurs, Paul Otchakovsky-Laurens puis Frédéric Boyer, en raison d'un catalogue ouvert qui revendique des choix forts (quant à la place de la poésie et du cinéma en particulier), en raison enfin d'une attention constante aux matérialités (langue, genres, dispositifs) du littéraire et à leur renouveau. « Futur, ancien, actuel », cette formule, qui détourne un titre d'Olivier Cadiot, invite à comprendre une des fabriques majeures de la littérature aujourd'hui.
Publié suite au colloque international éponyme organisé à l'Université de Poitiers et à l'Université Paris Cité en 2022.
Dans sa classe de onze enfants, Hannah se sent exclue de tout : ses parents, fondamentalistes protestants, ne l'autorisent à se rendre ni au cinéma, ni aux fêtes d'anniversaire et pas non plus à la sortie de fin d'année. Ce 25 juin 1993 est le dernier jour d'école et, malgré les Troubles qui semblent ne jamais vouloir finir, tous rêvent d'un été insouciant.
Mais une inquiétude d'une autre espèce s'installe à Ballylack, localité imaginaire d'Irlande du Nord qui n'est pas sans rappeler Ballymena, où est née l'auteure : Ross, un condisciple d'Hannah, meurt d'un mal inconnu et mystérieux, bientôt suivi par Kathleen. Parce que les deux premières victimes étaient de faible constitution, la communauté tente de se rassurer. Mais, quand les camarades d'Hannah disparaissent les uns après les autres, la panique s'installe. Ballylack est envahie par des équipes scientifiques chargées de découvrir l'origine de cette épidémie ne frappant que les enfants, devenue une affaire nationale. Et, bien sûr, des hordes de journalistes leur emboîtent le pas.
Hannah n'est atteinte d'aucun symptôme. Mais elle vit une expérience qu'il lui est impossible de confier à quiconque : un à un, les fantômes de ses amis viennent la hanter.
Si Jan Carson, grande amatrice de réalisme magique, embarque son lecteur dans des situations où tout peut arriver, c'est avec une scrupuleuse précision et une ironie mordante qu'elle scrute les effets de la crise sur les habitants du bourg. Maîtresse dans l'art du récit, elle met à nu ses personnages, notamment les parents des petites victimes, dont elle construit des portraits formidables de véracité et d'énergie.
Il existe à New York une rue au nom évocateur : Division Avenue. Elle se situe dans une partie spécifique de Brooklyn, le quartier juif orthodoxe. C'est là que vit Surie Eckstein, qui peut s'enorgueillir d'avoir vécu une vie bien remplie : mère de dix enfants, elle passe des jours tranquilles avec sa famille. Alors qu'elle pensait être ménopausée, Surie découvre qu'elle est enceinte. C'est un choc. Une grossesse à son âge, et c'est l'ordre du monde qui semble être bouleversé. Surie décide de taire la nouvelle, quitte à mentir à sa famille et à sa communauté. Ce faisant, Surie doit affronter le souvenir de son fils Lipa, lequel avait - lui aussi - gardé le silence sur une part de sa vie. Un secret peut avoir de multiples répercussions ; il permettra peut-être à Surie de se réconcilier avec certains pans de son passé.
Avec Division Avenue, Goldie Goldbloom trace le portrait empathique, tendre et saisissant d'une femme à un moment charnière de son existence. Et nous livre un roman teinté d'humour où l'émancipation se fait discrète mais pas moins puissante.
Si tu perds, c'est que tu ne voulais pas vraiment gagner.
Eddie Felson est une énigme. On rapporte des parties de billard extraordinaires, un joueur au talent incroyable. Seulement, personne ne l'a jamais vu tirer. Le bruit court qu'il veut s'attaquer à Chicago, mais ses faits d'armes sont remis en question par Grand John, vétéran de l'académie Bennington. Pour lui, Fast Eddie n'est qu'un arriviste imbu de lui-même, un roublard qui n'a pas la moindre chance contre des légendes comme Minnesota Fats, peut-être moins doué qu'Eddie mais bien plus expérimenté. De toute façon, les arnaques auxquelles se livre Eddie vont forcément lui jouer de mauvais tours.
L'histoire judiciaire qui forme l'intrigue principale de ce gros roman est en elle-même passionnante car elle est l'occasion pour l'auteur de décrire à la fois le système juridique typiquement anglais de la propriété foncière mais aussi les mÅ«urs de la classe moyenne des campagnes au XIXe siècle. Dans la pure tradition du roman victorien, cette intrigue principale est doublée voire triplée d'histoires annexes, surtout d'amour, qui sont l'occasion pour l'auteur de dresser des portraits d'une étonnante modernité de personnages secondaires parfois hauts en couleur. Anthony Trollope, sans doute l'un des trois plus grands écrivains de l'époque victorienne, est en tous cas le plus prolixe. Il a connu un immense succès au cours de sa vie et continue, cent cinquante ans plus tard, à fasciner et séduire de nombreux lecteurs à travers le monde. Cette traduction en français est inédite en livre : anonyme, elle a paru en feuilletons dans les années 1860 dans la Revue nationale et étrangère.
La voix de Tsvétaïéva résonnait de quelque chose d'inconnu et d'effrayant pour l'oreille russe : l'inadmissibilité du monde. Ce n'était pas une réaction de révolutionnaire ou de progressiste revendiquant des améliorations, pas plus qu'un conservatisme ou un snobisme d'aristocrate qui se souvient des jours meilleurs. Sur le plan du contenu, il s'agissait de la tragédie de l'existence en général, indépendamment de son contexte temporel. Sur le plan du son, il s'agissait d'une aspiration de la voix à la seule direction qui lui était possible : vers le haut. De la même façon que l'âme aspire à sa source. (Joseph Brodsky)
À sept kilomètres de Smiljevo, haut dans les montagnes, dans un hameau à l'abandon, vivent Jozo Aspic et ses quatre fils. Leur petite communauté aux habitudes sanitaires, alimentaires et sociologiques discutables n'admet ni l'État ni les fondements de la civilisation, jusqu'à ce que le fils aîné, Krešimir, en vienne à l'idée saugrenue de se trouver une femme.
Bientôt, il devient clair que la recherche d'une épouse est encore plus difficile et hasardeuse que la lutte quotidienne des Aspic pour la sauvegarde de leur autarcie.
La quête amoureuse du fils aîné des Aspic fait de ce road movie littéraire une comédie hilarante, où les coups de théâtre s'associent pour accomplir un miracle à la combe aux Aspics.