Nouveautés littérature française
«?L'accouplement est un cérémonial - s'il ne l'est pas c'est un travail de chien.?».
Au début des années soixante, un jeune homme est nommé instituteur dans un village du Périgord, le pays des grottes préhistoriques, entre Les Eyzies et Montignac.
Dense, tendu, plein de fulgurances et d'emportements le roman fait de cette terre l'espace à vif d'une quête amoureuse. Yvonne, la belle buraliste, porte en elle la brûlure du désir, tout le mystère de la différence des sexes - l'origine du monde.
Ce court récit inédit de Julien Gracq met en scène une fascination. C'est la vision initiatrice, brève mais répétée, d'une demeure, aperçue à chaque trajet depuis un car traversant la campagne pendant l'Occupation, qui pousse le narrateur à se mettre en route, cheminant seul dans les sous-bois pour s'approcher de la maison. À travers le récit de ce parcours aussi sensuel et contemplatif qu'intériorisé, La Maison déplie, comme une intrigue, la naissance d'un désir.
« Le soir tombait plus vite qu'ailleurs sur l'égouttement de ces fourrés sans oiseaux. Leurs bruits légers et distincts :
Craquements de branches, sifflement faible du vent dans un pin isolé, éteignaient les bruits insignifiants de la campagne - au long d'eux, dans la brume pluvieuse, on marchait comme dans une ombre portée : la route tout entière feutrée et épiante, n'était plus qu'une oreille collée contre la lisière des bois. [...] Après quelques allées et venues assez incertaines au long de la route, l'envie me vint une minute, devant cet obstacle absurde, de renoncer à mon équipée - mais la curiosité fut la plus forte. »
La cour est vide. La maison est fermée. Claire sait où est la clef, sous une ardoise, derrière l'érable, mais elle n'entre pas dans la maison. Elle n'y entrera plus. Elle serait venue même sous la pluie, même si l'après-midi avait été battue de vent froid et mouillé comme c'est parfois le cas aux approches de la Toussaint, mais elle a de la chance ; elle pense exactement ça, qu'elle a de la chance avec la lumière d'octobre, la cour de la maison, l'érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu'à elle dans l'air chaud et bleu.
Années 1960. Isabelle, Claire et Gilles vivent dans la vallée de la Santoire, avec la mère et le père. La ferme est isolée de tous.
Elsa a sept ans lorsque sa mère devient pour la première fois propriétaire. Dans le nouvel appartement, il y a une moquette vert menthe à poils ras, une chambre bleue avec des lits superposés, un frigidaire jaune, un palmier dans le crépuscule sur un mur de la salle de bains. La nuit, la mère ne dort pas. Elle fume. Blottie sous sa couette, l'enfant regarde les cloques qui boursoufflent le plafond.
L'Âge de détruire est l'histoire d'une violence qui passe de mère en fille. Un cycle infernal, dont il faudrait s'échapper ; et pour cela avancer jusqu'à atteindre, peut-être, l'âge de détruire.
Raphaëlle et Anouk ont passé l'hiver dans leur yourte en Gaspésie, hors du temps et du monde. À l'approche du printemps, Raphaëlle convainc sa compagne de rejoindre la communauté de la Ferme Orléane pour explorer la possibilité d'une agriculture et d'un vivre-ensemble révolutionnaires... ainsi que la promesse de suffisamment de conserves pour traverser les saisons froides, au chaud dans leur tanière.
Rapidement la vie en collectivité pèse à Anouk et les premières frictions entre elle et Raphaëlle se font sentir. La jeune femme décide d'aller se ressourcer dans sa cabane au Kamouraska, entre les pins millénaires et le murmure de la rivière. Elle ne tarde pas à y recroiser Riopelle-Robin, un farouche militant écologique, avec qui elle a eu une liaison aussi brève que passionnée. Aux côtés d'« éco-warriors » chevronnés, ce dernier prépare une nouvelle mission : l'opération Bivouac. Son objectif : empêcher un projet d'oléoduc qui doit traverser les terres du Bas-Saint-Laurent et menace de raser une forêt publique, véritable bijou de biodiversité.
Anouk, bientôt rejointe par Raphaëlle et ses alliées de la Ferme Océane, se lance à corps perdu dans la défense du territoire. La lutte s'annonce féroce, car là où certains voient une Nature à protéger, d'autres voient une ressource à exploiter, peu importe le coût.
Gabrielle Filteau-Chiba renoue avec ses personnages de marginaux sensibles et libres et signe un grand roman d'amour et d'aventure sur la défense de l'environnement.
On est dans la tête d'un président qui gouverne une France de plus en plus agitée. Sollicité à chaque seconde, menacé par des affaires compromettantes dont lui seul a la clé, on découvre, dans ce roman vrai, au-delà des apparences, sa vie quotidienne chaotique, et c'est fascinant. Il veut réformer mais hésite souvent. Marc Dugain nous ouvre les portes de l'Élysée, palais byzantin, plongé dans une ambiance fébrile. Il dévoile avec une férocité lucide, les secrets de cette étrange machine à gouverner. Celle-ci repose sur un homme seul puisque, comme le dit le président: «Tout ce qui ne marche pas dans ce pays remonte jusqu'à moi ! » Le pouvoir hier, aujourd'hui, demain, tel qu'on n'avait jamais osé le décrireMarc Dugain est l'un des romanciers français les plus populaires. Il construit depuis 1999 son oeuvre littéraire avec des romans qui s'attachent à décrire des univers très différents, où les personnages sont confrontés à la grande histoire. Il est l'auteur de nombreux best-sellers dont La Chambre des officiers (Lattès), La Malédiction d'Edgar (Gallimard), ou Une exécution ordinaire (Gallimard). Il est aussi le coauteur avec Chrisophe Labbé d'essais à succès. Bluffant. Le populaire du centreL'auteur de L'Emprise se glisse avac bonheur dans la peau du prochain président d'une République française très agitée. L'Obs Marc Dugain signe une fascinante fable politique sans morale dans un pays fatigué. JDD TTT - Télérama
?Ils sont frère et soeur. Quand l'histoire commence, ils ont dix-neuf et treize ans.
Cette histoire tient en quelques mots, ceux que la cadette, témoin malgré elle, prononce en tremblant : " Papa vient de tuer maman. " Passé la sidération, ces enfants brisés vont devoir se débrouiller avec le chagrin, la colère, la culpabilité. Et remonter le cours du temps pour tenter de comprendre la redoutable mécanique qui a conduit à cet acte.
Avec pudeur et sobriété, ce roman, inspiré de faits réels, raconte, au-delà d'un sujet de société, le long combat de deux victimes invisibles pour réapprendre à vivre.
Après l'immense succès du Grand Monde Un ogre de béton, une vilaine chute dans l'escalier, le Salon des arts ménagers, une grossesse problématique, la miraculée du Charleville-Paris, la propreté des Françaises, « Savons du Levant, Savons des Gagnants », les lapins du laboratoire Delaveau, vingt mille francs de la main à la main, une affaire judiciaire relancée, la mort d'un village, le mystérieux professeur Keller, un boxeur amoureux, les nécessités du progrès, le chat Joseph, l'inexorable montée des eaux, une vendeuse aux yeux gris, la confession de l'ingénieur Destouches, un accident de voiture. Et trois histoires d'amour.
Un roman virtuose de Pierre Lemaitre
Paris, 1935Lors de la première du Rigoletto de Verdi à l'Opéra-Comique, un jeune ténor défraie la chronique en volant la vedette au rôle-titre. Le nom de ce prodige ? Elio Leone.Né en Italie à l'orée de la Première Guerre mondiale, orphelin parmi tant d'autres, rien ne le prédestinait à enflflammer un jour le Tout-Paris. Rien ? Si, sa voix. Une voix en or, comme il en existe peut-être trois ou quatre par siècle.Cette histoire serait très belle, mais un peu trop simple.L'homme a des failles.D'ailleurs, est-ce vraiment de succès qu'il rêvait ?En mettant en scène avec une générosité folle et une grande puissance romanesque d'inoubliables personnages, Alexia Stresi nous raconte que ce sont les rencontres et la manière dont on les honore qui font que nos lendemains chantent et qu'on sauve sa vie.
« Vous est-il déjà arrivé un soir de réveillon de croiser le père Noël égaré dans votre propre cheminée ? Ou vous êtes-vous déjà endormi dans votre petit lit douillet et réveillé quelque part entre Pitchik et Pitchouk étoilé et numéroté ? Non ? Alors réjouissez-vous car ce conte est pour vous.
Une très vieille personne - de mon âge, c'est tout dire - me confia sous le sceau du secret la recette de ce conte de Noël à déguster chaud ou froid, été comme hiver, avec un jus de citron ou un verre de vodka, seul ou avec la terre entière, à l'hosto ou chez soi près de sa cheminée Napoléon III. » Une vieille dame indigne, Rosette Rosenfeld, un soir de Noël et au soir de sa vie, passant une tête par sa cheminée Napoléon III, croise celui qu'elle espérait y rencontrer : le père Noël, membre des Pères Noël associés et... au bord du burn-out. De l'Ehpad - où les desserts sont bios et déchocolatés - qui finit par l'accueillir, aux songes nocturnes dans lesquels elle croise son mari disparu et ancien déporté, et ses beaux-parents venus pour l'un de Pitchik, pour l'autre de Pitchouk, Jean-Claude Grumberg nous invite à suivre ses tribulations, toujours à l'ombre de l'histoire et de sa grande hache, prêtant à ce conte de Noël sa plume burlesque et pleine d'humour, jusqu'à ce qu'entre deux rires l'émotion saisisse le lecteur à la gorge.
Claire enseigne à L'Embellie, établissement associatif où l'on tente de mettre sur les rails de la vie active des jeunes gens en grande difficulté. Elle s'épanouit au contact de ces élèves sans filtres, dont le coeur est l'organe dominant. Elle a cela en commun avec eux. Et c'est ainsi qu'à la rentrée 2018, avec l'arrivée dans sa classe du jeune Gabriel Noblet, Claire "tombe dans une histoire" aux conséquences irréparables. Sur les ravages du soupçon et les injustices du silence, "Deux innocents" explore les moindres faux-plis du malentendu et de la fatalité. Avec une précision magistrale et une efficience narrative redoutable, Alice Ferney signe le grand roman moderne du déni de tendresse.
Comment se faire un nom ?
Comment émerger de la masse ?
Comment s'arracher à son insignifiance ?
Comment s'acheter une notoriété ?
Comment intriguer, abuser, écraser, challenger ?
Comment mentir sans le paraître ? Comment obtenir la faveur des puissants et leur passer discrètement de la pommade ? Comment évincer les rivaux, embobiner les foules, enfumer les naïfs, amadouer les rogues, écraser les méchants et rabattre leur morgue ? Comment se servir, mine de rien, de ses meilleurs amis ? Par quels savants stratagèmes, par quelles souplesses d'anguille, par quelles supercheries et quels roucoulements gagner la renommée et devenir objet d'adulation ?
«Je ne savais pas que les enfants avaient failli se faire tuer dans le volume précédent.Quand j'ai appris que c'était Pépère qui avait fait le coup, j'ai pigé un truc : qui ne connaît pas Pépère ne sait pas de quoi l'être humain est capable.»Benjamin Malaussène
« Il m'a été confié et j'ai accepté de le garder en observation. On aura estimé à juste titre que j'étais le seul qualifié pour mener à bien cette étude. Il est maintenant là, devant moi, étrangement mobile, brûlant d'on ne sait quelle ardeur. Curieux sujet, décidément. Je vais prendre bien soin de lui. ».
É.C.
Au coeur de l'Allemagne, l'International Tracing Service est le plus grand centre de documentation sur les persécutions nazies. La jeune Irène y trouve un emploi en 1990 et se découvre une vocation pour le travail d'investigation. Méticuleuse, obsessionnelle, elle se laisse happer par ses dossiers, au regret de son fils qu'elle élève seule depuis son divorce d'avec son mari allemand.
A l'automne 2016, Irène se voit confier une mission inédite : restituer les milliers d'objets dont le centre a hérité à la libération des camps. Un Pierrot de tissu terni, un médaillon, un mouchoir brodé... Chaque objet, même modeste, renferme ses secrets. Il faut retrouver la trace de son propriétaire déporté, afin de remettre à ses descendants le souvenir de leur parent. Au fil de ses enquêtes, Irène se heurte aux mystères du Centre et à son propre passé. Cherchant les disparus, elle rencontre ses contemporains qui la bouleversent et la guident, de Varsovie à Paris et Berlin, en passant par Thessalonique ou l'Argentine. Au bout du chemin, comment les vivants recevront-ils ces objets hantés ?
Le bureau d'éclaircissement des destins, c'est le fil qui unit ces trajectoires individuelles à la mémoire collective de l'Europe. Une fresque brillamment composée, d'une grande intensité émotionnelle, où Gaëlle Nohant donne toute la puissance de son talent.
«C'était trop. Trop vite, trop tôt. Trop peu préparé à ce nouvel assaut de souffrance et de regrets. Trop de colère contre le destin. Trop de morts. Trop de prières et de miséricorde. Trop de Toussaint aux beaux jours. Trop de plus jamais.»En l'espace de six mois disparaissent successivement la mère et le frère de l'auteur. Tandis qu'ils affrontent la maladie surgit un secret qui réécrit l'histoire de la famille.
«Un meurtre c'est fait pour que quelque chose s'arrête. Est-ce que c'est possible que les choses s'arrêtent, que ce ne soit pas toujours le même aplat de tout, sur le même ton, à la même vitesse qui vous avale, irrespirable, le souffle court, ne plus avoir d'oxygène au cerveau à force, est-ce que c'est possible que tout le monde se taise, que le bébé se taise, que sa mère se taise, que le dealer se taise, que les flics se taisent, que les juges se taisent, que tous ils se taisent. Qu'ils fassent ce qu'ils veulent de lui, il leur donne son corps, mais qu'il puisse se taire, qu'ils le laissent ne plus répondre.»
«Elle aurait pu renoncer. Elle aurait dû renoncer.Elle se le répéta bien un million de fois toutes les années qui suivirent. Elle eut d'ailleurs une hésitation, peut-être valait-il mieux rester, se rallonger dans la chambrée, à écouter ses deux autres soeurs qui gesticulaient dans leur sommeil, pétaient et miaulaient sous leurs draps à cause de leurs rêves lascifs tout juste pubères. Peut-être valait-il mieux abdiquer, enrager, et se délecter de sa rage, puisqu'il y a un plaisir dans l'abdication, cela va sans dire, le plaisir tragique de la passivité et du dépit, le plaisir du drapage dans la dignité, on ne nous laisse jamais rien faire, on a juste le droit de se taire, on nous enferme, alors que les autres là-bas au loin s'amusent et se goinfrent, qu'est-ce que j'ai fait dans mes vies antérieures pour mériter ça, oh comme je suis malheureuse.Peut-être aussi que le jeu n'en valait pas la chandelle. Mais le jeu, n'est-ce pas, en vaut rarement la chandelle. Le jeu n'est désirable que parce qu'il est le jeu.»Véronique Ovaldé, à travers l'histoire d'une famille frappée par une mystérieuse tragédie, ausculte au plus près les relations que nous entretenons les uns avec les autres et les incessants accommodements qu'il nous faut déployer pour vivre nos vies.
«Le zombie, bien sûr, c'est mon Nicolas qui se tient au centre du cercle de la cour du rocher, à genoux, courbé, rachitique, sa colonne dessinant un z, tordue comme le dos flagellé d'un martyr, semblant servir de paratonnerre à l'orage qui tarde à venir, à la colère de l'internat, sa république d'enfants cruels.Mon Nicolas avec sa morphologie bizarre, dérangeante, exposée aux yeux de tous, créature qu'on pensait éteinte, disparue dans les forêts de Lituanie et de Pologne avec les golems et les dibbouks.»Automne 1989. Après l'accident de voiture qui a coûté la vie à sa mère, un collégien en perte de repères intègre avec son petit frère un pensionnat pour familles riches, perché sur les flancs d'une montagne. Plus rien ne sera comme avant.Entre éclairs de tendresse et débordements de cruauté, ce roman singulier et mélancolique est une chronique bouleversante de l'adolescence.
« Qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance. » (Baudelaire) Tel serait l'esprit de cette saga lapidaire - un siècle de fureur et de sang que va traverser Valdas Bataeff en affrontant, tout jeune, les événements tragiques de son époque.
Au plus fort de la tempête, il parvient à s'arracher à la cruauté du monde : un amour clandestin dans une parenthèse enchantée, entre l'ancien calendrier de la Russie impériale et la nouvelle chronologie imposée par les « constructeurs de l'avenir radieux ».
Chef-d'oeuvre de concision, ce roman sur la trahison, le sacrifice et la rédemption nous fait revivre, à hauteur d'homme, les drames de la grande Histoire : révolutions, conflits mondiaux, déchirements de l'après-guerre. Pourtant, une trame secrète, au-delà des atroces comédies humaines, nous libère de leur emprise et rend infinie la fragile brièveté d'un amour blessé.
À l'issue d'une manifestation à Tunis, une jeune française est arrêtée et conduite à La Manouba, la prison pour femmes. Entre ces murs, c'est un nouvel ordre du monde qu'elle découvre, des règles qui lui sont dictées dans une langue qu'elle ne comprend pas. Au sein du Pavillon D, cellule qu'elle partage avec vingt-huit codétenues, elle n'a pu garder avec elle qu'un livre, Les Contemplations de Victor Hugo. Des poèmes pour se rattacher à quelque chose, une fenêtre pour s'enfuir. Mais bientôt, dans les marges de ce livre, la jeune femme commence à écrire une autre histoire. Celle des tueuses, des voleuses, des victimes d'erreurs judiciaires qui partagent son quotidien, lui offrent leurs regards, leurs sourires et lui apprennent à rester digne quoi qu'il arrive.
Vibrant d'humanité, Les Contemplées, roman autobiographique enflammé, nous livre l'incroyable portrait d'un groupe de femmes unies face à l'injustice des hommes.
Pour moi, l'écriture est avant tout un moyen d'agir, une manière de diffuser des idées. Le sort que je réserve à mes personnages n'est guère enviable, parce que ce sont des indésirables, et mon objectif est de faire naître chez le lecteur un sentiment de révolte face à l'injustice de ce qui leur arrive.J. M. G. L. C.
« Rives et dérives » est un parfait sous-titre pour ce nouveau texte de Michèle Lesbre. Elle y emprunte des chemins de traverse afin de rejoindre une rivière, la Furieuse, dont le nom - sans qu'elle la connaisse - a résonné en elle de manière particulière. « Rives et dérives » pourrait également caractériser son beau parcours d'écriture, où petit à petit elle a délaissé la forme romanesque pour vagabonder dans une prose plus libre, plus voyageuse et rêveuse. Ce récit clairement autobiographique se lit comme un art poétique de l'écrivaine.
Voici comment elle évoque, à la première personne, son projet : « J'écris ce texte comme on s'échappe, comme un retour à un monde possible. Et cette échappée me conduit vers la Furieuse, petite rivière du Doubs, affluent de la Loue, où Courbet se baignait enfant, où il s'est baigné jusqu'à la fin de sa vie.
C'est le nom qui m'a séduite d'emblée, la Furieuse. Sans doute contenait-il toutes mes colères, il parlait de moi.
Ce n'est pas un roman, c'est le récit d'un voyage intime traversant aussi les oeuvres d'auteurs aimés qui ont descendu ou remonté fleuves et rivières, ont vécu sur leurs rives parfois (Magris, Esther Kinsky, Paolo Rumiz, Jean-Paul Kaufmann, Jean Rolin, Michèle Desbordes, Julien Gracq...).
C'est un appel au secours à l'enfance, petite patrie lumineuse en laquelle je retrouve un peu de paix. C'est peut-être même elle qui a suscité ce voyage, en réveille d'anciens, me console de ce monde, me rend ma liberté.
J'écris depuis plus de trente ans, jamais de livre autobiographique, mais mes romans sont tous écrits à la première personne. J'aime cette phrase de J.-B. Pontalis, à propos du je utilisé dans un de ses livres : «Ce n'est pas un je autobiographique, c'est le je qui s'écrit. »
ENTRE 1868 et 1869, quatre très jeunes femmes convergent vers Lyon pour travailler dans la première branche mécanisée de l'industrie de la soie : « ovalistes », elles garniront les bobines des moulins (ovales) afin de donner au fil grège la torsion nécessaire au tissage.
Rien ne les destinait à se rencontrer, hormis la nécessité de gagner leur vie : Toia est piémontaise, le curé du village l'a recommandée au colporteur chargé de recruter des filles de bonne moralité comme ouvrières non qualifiées. Ne sachant ni lire ni parler le français, elle arrive seule à Lyon en diligence, l'adresse de l'atelier notée sur un papier qu'elle montre à qui pourra l'aider.
Il en va de même pour Rosalie Plantevin, originaire de la Drôme où sévit la maladie du mûrier : elle n'a pas trouvé à s'y employer pour nourrir son enfant, laissé en pension à sa soeur. Marie Maurier, elle, vient de Haute- Savoie, où son père est carrier. Vive, drôle, elle amusera tout le monde, dans son atelier de la Guillotière. La très blonde Clémence Blanc est la seule Lyonnaise du quatuor, que révolte la mort en couches de l'amie avec qui elle partageait un minuscule garni.
Dans une magnifique métaphore autour de la forme ovale - celle du moulin, celle du stade -, Maryline Desbiolles imagine ses quatre personnages en relayeuses se passant le témoin pour une course qui les mènera, non pas à un record, mais à devenir parties prenantes d'un événement d'importance : la première grève de femmes de l'histoire.
C'est en juin 1869 que Philomène Rozan, figure bien réelle que l'autrice met en scène en camarade d'atelier de Clémence, prend la tête du mouvement :
Pour énoncer leurs revendications salariales, demander de meilleures conditions de travail et de logement et poser un préavis de grève, les filles ont recours à un écrivain public. Les maîtres mouliniers font bien sûr la sourde oreille. Elles s'enhardissent pourtant et, pendant quelques jours, le mouvement va s'amplifier. Le livre avance alors au rythme exaltant d'une troupe féminine s'autorisant enfin à cesser de courber l'échine :
Nos quatre relayeuses y apparaissent comme en couleur, dans une foule anonyme en noir et blanc, titubantes dans l'élan de leur propre audace.
La course aura été belle, Philomène Rozan repérée par Marx lui-même pour participer au congrès de l'Association internationale des travailleurs à Bâle, en septembre de cette année 1869. Mais trois hommes iront finalement à sa place, dont Bakounine.
L'acuité, la poésie, l'humour, la concision de l'écriture font ici merveille pour donner voix et corps à ces oubliées de l'histoire.