Nous aimons... les éditions du Chemin de fer
Nous aimons les éditions du Chemin de fer, leur dévouement à la littérature et leur curiosité intrépide, leur goût pour les formes courtes, la coexistence au sein de leur catalogue d'auteurs contemporains et de textes inédits du XXème, l'élégance de leurs maquettes, et la manière dont ils associent graphistes, dessinateurs, artistes reconnus ou émergents, faisant dialoguer singulièrement l'image et les mots. Leurs livres sont de beaux objets, mais pas seulement : leurs collections "Micheline", "Voiture 54"7 ou "Cheval vapeur" vous feront emprunter les rails de la meilleure littérature.
Parmi leurs nouveautés du printemps, nous vous signalons un inédit de Claude Simon, Scénario de la Route des Flandres : alors que La route des Flandres paraît en 1960, Claude Simon met au point, dès l’année suivante, le scénario de son grand roman choral. Ce texte, d’une écriture somptueuse et d’une précision incroyable donne littéralement à voir ce film qu’imaginait l’écrivain, film qui ne verra finalement jamais le jour. Ce scénario est publié ici pour la première fois, dans une édition établie et postfacée par Mireille Calle-Gruber, et il est accompagné d'un un cahier iconographique de 16 pages, et de lettres inédites de Claude Simon à Michelle Porte.
Lassée de servir ses patrons, la protagoniste réclame son indépendance du jour au lendemain. Elle passe alors trois jours et deux nuits d'errance dehors, découvrant le monde dans un long monologue constitué d'une seule phrase.
Noémi Duchemin est une enfant surdouée, née dans une famille dysfonctionnelle, élevée dans une décharge, recueillie après un drame familial par mademoiselle Minnier, institutrice rigide qu'elle vénère jusqu'au désenchantement lorsqu'elle découvre ce que sa sollicitude signifiait.
Nul doute que La décharge est l'oeuvre maîtresse de Béatrix Beck. C'est un roman qui, dans sa profusion, son exubérance et son extrême liberté, concentre tous les partis pris qui rendent l'autrice irremplaçable. Qui saurait aujourd'hui donner vie à une telle héroïne ?
Béatrix Beck ose tout, montre tout, renverse toutâ€...: le déterminisme, la bêtise, les conventions, les superstitions, les marges, l'inceste ou la mort sont broyés, disséqués, au fil d'un texte monstrueusement prolifique. Bien au-delà de la satire sociale, La décharge est un monument scandaleusement généreux de littérature porté par la plume alerte de Béatrix Beck et sa capacité inépuisable d'étonnement. Elle emprunte au langage populaire, s'amuse des rythmes, se joue du verbe pour le plus grand bonheur du lecteur qui en sort estourbi mais réjoui.
Rob Miles relève le défi d'accompagner en image ce roman foisonnant. Il multiplie les points de vue, parsème ses dessins d'indices et de références au texte tout en bousculant l'espace et sa logique. Lui aussi brise avec malice la convention d'une représentation linéaire. Gageons que Béatrix Beck aurait adoré cette liberté.
La décharge a reçu le prix du livre Inter en 1979.
La chair du Christ est patiente, m'attendra-t-elle encore longtemps?? On nous l'a rendue fade à l'instar des hosties, consolation des vieilles filles, oubliant qu'elle fut, comme la chair de tout dieu, produit de rêves érotiques.
Où mènent les pèlerinages et la quête d'absolu ? Pas toujours où l'on s'y attend...
Lors d'un périple autour de la ville sainte d'Assise, le narrateur écrit son journal de voyage. Son amour des paysages italiens tient lieu de décor à sa quête de sacré. Le désir de spiritualité est néanmoins d'abord désir.
«J'ai toujours éprouvé la nécessité de Dieu, dans la peau et dans le sexe, et ce sans jamais y croire», écrit-il. Le religieux se mêle au profane, la confusion des sens exacerbée par la marche quotidienne nourrit l'attrait du pèlerin pour les corps. Le voyage se voulait solitaire mais les rencontres furtives permettent d'assouvir l'ardeur d'appétits plus terrestres.
Ce Journal d'ascétisme est une passionnante réflexion sur la soif de spiritualité et sur les liens étroits qu'entretiennent mondes chrétiens et païens. L'érudition d'Émilien Rouvier, son regard sur la peinture et sur la culture se teinte d'humour à chaque page et d'autodérision féroce envers le pèlerin amateur qui triche autant avec Dieu qu'avec lui-même. Un premier livre qui révèle une écriture virtuose et précieuse, spirituelle et drôle.
Clément Bataille interroge lui aussi le lien entre païen et divin mais sa recherche, où se mêlent l'histoire de l'art, le magique, l'érotisme, se nourrit d'une autre confusion. Les déplacements qu'il opère nous interrogent sur l'ambiguïté des représentations et des symboles.
La guerre a dévasté l'hémisphère nord, laissant derrière elle un nuage radioactif qui poursuit inexorablement sa course vers le sud, détruisant toute vie humaine sur son passage.
Dwight Towers, le commandant d'un sous-marin américain fait partie des survivants réfugiés en Australie. À Melbourne, il partage le quotidien d'un petit groupe d'habitants qui, chacun à sa façon, pour se préparer à l'inéluctable, s'arrange avec la cruelle réalité.
Lors d'une soirée, Dwight rencontre Moira, une jeune femme qui a choisi de brûler sa vie tant qu'il est encore temps. Bien que Dwight veuille garder vivant le souvenir de sa femme et de ses enfants, lui et Moira deviennent de plus en plus proches.
Seul un mystérieux signal radio provenant de Seattle pourrait laisser penser que la vie n'est peut-être pas anéantie totalement, quand bien même, scientifiquement, elle est devenue impensable au Nord...
Captivant et d'une intense émotion, Le dernier rivage, publié en 1957, est devenu un livre culte qui reste gravé à jamais dans la mémoire des lecteurs.
Nevil Shute (1899-1960) a publié vingt-cinq romans. Le dernier rivage, qui est sans conteste le sommet de son oeuvre, a connu en 1959 une adaptation cinématographie avec Gregory Peck, Ava Gardner et Anthony Perkins. Il sert encore aujourd'hui dans les pays anglo-saxons d'étendard à ceux qui luttent contre les risques de destructions que la technologie humaine fait subir à la Terre.
En nous entraînant sur la route avec oedipe, vieillard errant, Pascal Gibourg nous propose un monologue éminemment poétique et moderne. Il lie le mythe à la réflexion contemporaine et pose des questions essentielles sur la vie, sur son sens et sur notre raison d'être au monde au-delà du monde lui-même.
L'écriture devient la lente progression d'un corps en proie à ses propres pensées. Non pas un roi, ni fils incestueux ni parricide, mais un aveugle qui marche guidé par sa fille Antigone.
Dans son exil, oedipe sait qu'il ne trouvera rien et que le vrai chemin est celui de l'errance. Rien ne sera différent plus loin. Tel Atlas, il ne fait que déplacer son monde avec lui. Et pourtant il devra s'alléger, trouver, un pas qui soit le sien. Une langue s'invente alors. C'est une bataille de mots, non pas contre le silence, mais avec lui, non pas contre la nuit, mais avec elle.
Les oeuvres de Marie-Claire Mitout qui ouvrent le livre sont extraites de la série Les plus belles heures qu'elle poursuit depuis l'aube des années 90. En 2018 l'artiste est, elle aussi, partie sur les traces d'oedipe, d'abord par le théâtre de Sophocle, puis sur les lieux de l'écriture, fixant dans ses gouaches l'enthousiasme de chaque jour.
Mitka, jeune marin d'Europe de l'est, rencontre, à Londres, Valerie Brandon dont il tombe éperdument amoureux. Valerie est courtisée par le riche Evershed qu'elle n'est pas sûre d'aimer. L'innocent amour que Mitka lui voue la flatte et lui donne l'illusion qu'un autre choix est possible. L'insatisfaite Valerie est prête à se jouer de Mitka pour se distraire de sa vie ennuyeuse. Comme souvent chez Katherine Mansfield, les femmes sont farouchement libres et mènent la danse, sans scrupule ni souci de morale. Katherina Christidi a saisi l'ironie acide...
Intrépide amour est écrit à la fin de l'année 1914, au moment où Katherine Mansfield vit une crise dans le couple qu'elle forme avec John Middleton Murry et où elle est attirée par l'écrivain français Francis Carco.
Publié en anglais pour la première fois en 1972, Intrépide amour n'avait jamais été traduit en français.
Traduit par Marie-Odile Probst.
Petit frère, c'est un fait divers vu du côté du coeur?: l'histoire de Yann dont le demi-frère, Pierrot, est assassiné d'une balle à bout portant après avoir rendu visite à sa fille Loum à qui il a laissé un cadeau bien encombrant.
Yann, pour protéger Loum, part sur les traces de ce frère si différent de lui et se laisse entraîner dans les milieux interlopes de la nuit et du grand banditisme.
Il glisse peu à peu d'un monde à l'autre, du chemin «droit» au chemin «tordu», de son insensibilité première envers Pierrot à un puissant ressenti fraternel pour cette part de lui demeurée inconnue.
Dans ce passage d'un monde à l'autre réside l'essence de ce récit troué, parcellaire, comme sont à la mémoire les photos distribuées sur le miroir derrière la mère amnésique, comme est troué et parcellaire notre rapport au réel. C'est tout l'enjeu de ce texte de François Emmanuel (La question humaine, Ana et les ombres) qui emprunte aux codes du polar pour interroger l'humanité et les errances de l'affection.
Marc Desgranchamps se nourrit des archétypes du film noir des années soixante-dix, de Melville à Verneuil, et extrait du texte des images troublantes, pour en livrer un singulier story-board.
Je suis arrivée ici révoltée et bien décidée à ne rien fiche. Puis... il a bien fallu que je me mette au pas. Dix ans, ça fait long. On finit par comprendre qu'il vaut beaucoup mieux se ménager une petite détention pénarde et apprendre tout ce que l'on peut. - Le cachot, en hiver surtout, ça finit par coller des rhumatismes. Maintenant je travaille?: du service général, du bricolage?; je lis et j'écris à mes moments de loisir. Seulement, y a qu'une chose que le personnel n'a jamais pu m'ôter de la tête - c'est mon goût presque maladif de la solitude.
C'est en prison qu'Albertine Sarrazin a écrit ses deux romans autobiographiques, La cavale et L'astragale. C'est là également que fut rédigé son journal, déclaration d'amour à Julien, où dominent l'introspection et la recherche de soi.
Les nouvelles qui composent ce recueil, écrites également en prison, puisent toujours aux sources de l'autobiographie, mais dévoilent un autre visage d'Albertine Sarrazin?: celui de l'observatrice qui pose un regard empreint de gouaille, de légèreté et de tendresse sur l'univers carcéral qui fut son monde pendant huit ans. Compagnes d'un jour, amies de coeur ou de malheur, garde-chiourme détestables ou gardiennes justes, Albertine Sarrazin campe la comédie humaine à l'oeuvre dans ce huis clos qui, par la grâce de son style inimitable, devient expérience littéraire.
Un dernier texte, écrit après sa libération, clôt le recueil?: Albertine se voit décernée en 1966 le prix des Quatre Jurys. Elle écrit «Voyage à Tunis» pour décrire son émerveillement de prendre l'avion, de retourner dans son Maghreb natal, mais sait faire preuve d'une ironie féroce et pleine d'humour lorsqu'elle se peint égarée au sein de ce milieu littéraire qui n'est pas sans lui rappeler la communauté carcérale.
Ces nouvelles ont été publiées pour la première fois en 1973, aux éditions Sarrazin.
A-t-on déjà dit avec autant de franchise qu'on avait le droit de ne pas aimer sa mère, même quand la société nous impose d'être une «bonne fille»?? Rendez-vous au paradis alterne le récit autobiographique des derniers jours de la mère de Mercedes Deambrosis, à l'hôpital de Marseille et le «roman» d'une jeune fille, Guri, de ses parents, Merceditas et Luis, dans l'Espagne franquiste. Comment peuvent se rejoindre cette mère mourante et l'héroïne de ce qui aurait dû être un conte de fées?? Face au compte rendu clinique et néanmoins bouleversant d'une vie qui s'achève à Marseille se dresse le roman d'une famille espagnole du début du siècle aux années soixante. Et le lecteur de traverser la guerre civile, le Franquisme victorieux, la difficile reconstruction d'un pays en proie aux pesanteurs et à l'hypocrisie de la religion catholique. Une façon peut-être de tenter de comprendre comment une mère peut se muer en tyran... «Il y a des mères tyrans dans mes livres, des mères ogresses. Aucune n'était ma mère.» écrit Mercedes Deambrosis. Cette fois, dans son premier texte autobiographique, elle a magistralement réussi à faire le portrait sans fard de celle qui lui aura reproché sa vie durant de ne pas être la fille qu'elle aurait voulu.
«Se barrer à vingt ans d'un pays qui sort d'une dictature atroce et ouvre ses frontières, rien d'étonnant là-dedans. Franchement ça a été la première chose réellement bandante qu'elle ait faite depuis sa naissance. Ou presque.» Mars Violet est un roman total, un roman monstre. Oana Lohan, met tout ce qui fait sa vie, son éducation, la révolution, les blessures et les deuils, la fuite, l'exil ou le retour, les amours et les errances dans ce texte furieusement intime et complètement rock.
Chaque jour, avant le repas, une mère vieillissante mais vaillante sort les chiens, sous l'oeil attendri de son fils. Les chiens n'ont jamais les mêmes noms, ne sont jamais les mêmes mais invariablement, avant le repas, elle sort les chiens. Jusqu'au jour où, sans explication, ce rituel s'interrompt.
Dans Sortir les chiens, il y a deux personnages principaux, un fils, qui est aussi le narrateur, sa mère, quelques personnages annexes, puis il y a le personnage central?: la relation mère-fils, l'imagination un peu folle de l'une, la tendresse de l'autre.
À quoi se raccroche cette vieille dame qui promène chaque jour une compagnie de chiens aux noms toujours renouvelés, qui mange comme un oiseau, s'intéresse à tout ce qui fait la vie, mais s'esquive sans cesse?? Pourquoi ce fils protège tant sa mère?? Quel secret cache une telle compassion??
On le sait, Isabelle Minière est une orfèvre du sentiment, elle excelle ici à nous plonger dans les arcanes d'une relation très particulière à la limite de la raison.
Olivia Lévêque privilégie des éléments simples pour transmettre à la surface du papier des émotions d'une extrême justesseâ€...: la subtilité des couleurs, l'économie des aplats, l'esquisse, pour un résultat faussement naïf où le presque rien dit énormément.
Publié dans Les lettres nouvelles, en février et mars 1958, et jamais réédité depuis, Le cheval est le premier jalon de l'histoire du cavalier-brigadier rescapé des Flandres durant la débâcle de quarante que Claude Simon n'a eu de cesse ensuite de recomposer, à commencer par La route des Flandres, qui paraît deux ans plus tard.
II serait pourtant bien réducteur de considérer Le cheval comme un simple brouillon du roman à venir. Ce «pur cristal taillé, facetté avec art», comme l'écrit Mireille Calle-Gruber dans sa postface, est un récit singulier et autonome, qui éclaire magistralement l'oeuvre de Claude Simon, couronnée en 1985 par le prix Nobel de littérature.
J'apporte l'autre. J'apporte l'absolument différent. Je suis l'angoisse, la curiosité, le besoin de comprendre. Je me demande. Je me pose des questions. Que va-t-il se passer ? D'où venons-nous ? Qu'y a-t-il eu, jadis ? Et pourquoi ? Je suis ailleurs que là où je suis. Je vis dans le passé et dans l'avenir. Angoisse, mélancolie, ironie, doute et nostalgie me serrent la gorge. Je vous ferai cadeau de tout cela. Nous, cette terre. Nous vivons avec elle, en elle et grâce à elle. Nous sommes là, avec les éléments. Pluie, neige et grêle tombent sur elle, sur nous. Soleil tape sur elle, sur nous. Gel, dégel, saisons se suivent. Saisons de notre vie également. Le temps ne passe pas, il est toujours là, à nos côtés. Maintenant. Maintenant. Nous ne changeons pas. Les choses ont toujours été ainsi. Ainsi. Ainsi. Dans la certitude qu'il le fallait, qu'il le faut, qu(il le faudra toujours. On dit que, lors de ses premiers contacts avec les peuples natifs du Nouveau Monde, Christophe Colomb les croyait faits à l'image véritable de Dieu : corpus in deo. D'où, d'après une étymologie fantaisiste, le mot indien pour les désigner. Dans ce texte incantatoire, bref et puissant, Nancy Huston donne tour à tour la parole à l'Indien et à l'homme blanc. Chacun énonce sa vérité, avec ses mots et ses certitudes, chaque voix dit la matière qui façonne son humanité. Ce sont deux fictions du monde qui se font face. Faisant fi de tout dogmatisme, Nancy Huston interroge le réeldans ses contradictions, entre modernité et tradition, science et religion, solitude et solidarité. Les aquarelles et les pierres noires de Guy Oberson puisent leur inspiration aux confins du dicible. Elles seront ce que l'on désire : masques, écorces, ruches, danses... Elles disent surtout la force et la fragilité des humains, et les rythmes qui les portent.
Lia Déminadour mesure quatre-vingt-dix-huit centimètres. Après avoir été élevée et chérie par sa soeur, elle se trouve soudainement jetée dans la vie adulte malgré sa taille d'enfant. Sa naïveté et sa candeur ont tôt fait l'épreuve des amitiés et des amours jamais dénués d'arrière-pensées. Mais Lia la naine harmonieuse, à l'instar de la plume d'orfèvre de Béatrix Beck, surmonte chausse-trapes et écueils comme par enchantement. En donnant un féminin au nom de lilliputien, qui n'existe qu'au masculin, Béatrix Beck campe un personnage inoubliable, dans ce roman goguenard, insolent et néanmoins tendu par l'émotion. Grâce à sa maîtrise absolue de l'écriture, ses coq-à-l'âne et ses ellipses temporelles déconcertantes, elle fait de Lia la lilliputienne une de ses plus grandes héroïnes. Annabelle Guetatra recompose joyeusement la vie trépidante de Lia, brode sur un détail, s'arrête sur une image. Ses personnages malicieux nous étonnent et sautent d'une page à l'autre en rejouant l'histoire à leur manière, aussi subjective que ludique.
Quand la nature s'est mise à son chef-d'oeuvre, la fabrication de l'homme, elle n'aurait dû penser qu'à une chose. Au lieu de quoi, tournant la tête, regardant par dessus son épaule, en chacun de nous elle a laissé se faufiler des instincts et des désirs qui sont en désaccord complet avec son être principal, si bien que nous sommes striés, panachés, tout mélangés ; les couleurs ont bavé. Le vrai moi est-il celui-ci debout sur le trottoir en janvier ou celui-là penché au balcon en juin ? Suis-je ici ou suis-je là ? Ou le vrai moi n'est-il ni celui-ci ni celui-là, ni ici ni là, mais une chose si diverse et errante que ce n'est qu'en donnant libre cours à ses souhaits et en le laissant aller son chemin sans entraves que nous sommes en effet nous-mêmes ?
Sous prétexte d'aller acheter un crayon, Virginia Woolf sort de chez elle un soir d'hiver pour errer dans les rues de Londres. Cette promenade est l'occasion de diverses rencontres étonnantes, et dans le flux de la ville, au long même des phrases, le réel se mêle à l'imaginaire, les souvenirs se confondent avec le présent.
Dans son journal, le 26 mai 1926, Virginia Woolf note : « Un de ces jours j'écrirai quelque chose sur Londres pour dire comment la ville prend le relais de votre vie personnelle et la continue sans le moindre effort ». Dans les rues de Londres, une aventure paraît un an après dans la Yale Review.
La traduction d'Étienne Dobenesque serre au plus près l'écriture de l'auteur de Mrs Daloway, et donne comme rarement au lecteur français l'occasion de se plonger dans le stream de Virginia Woolf, ce flot de langage, ce discours qui avance vers son inconnu comme elle-même dans les rues de Londres.
Antoine Desailly a choisi de s'attarder sur des bribes d'objets, auxquels habituellement nul ne prête attention, glanés au cours de ses promenades urbaines. Ces bouts de rien deviennent le sujet précieux des dessins méticuleux qu'il égrène au fil des pages traçant une cartographie personnelle du périple de Virginia Woolf.
A l'origine d'Erosongs, il y a un spectacle-performance, créé en 2015. Nancy Huston écrit les textes, les récite et les chante. Guy Oberson peint sur scène. Un musicien improvise.
De scènes gourmandes et cocasses en exaltation du plaisir déshinibée, Erosongs distille avec humour, fantaisie et poésie les multiples facettes de l'amour physique en vingt-cinq textes qui mettent en scène la relation tantôt fusionelle, tantôt décalée d'un couple en prise avec le désir.
Les textes de Nancy Huston sont accompagnés de photographies de Guy Oberson, dévoilant de façon pudique mais sans fard la relation privilégiée qui les unit, comme autant de documents d'artiste, de notes de travail, de moments de vie qui nourrissent leur oeuvre commune.
«Songez à librement vivre.» Il me quitta en achevant ce mot, car c'est l'adieu dont, en ce pays-là, on prend congé de quelqu'un comme le «bonjour» ou le «monsieur, votre serviteur» s'exprime par ce compliment?: «Aime-moi, sage, puisque je t'aime.» Imaginez un monde inverse de notre Terre, où les parents obéissent à leurs enfants, où les arbres et les oiseaux parlent, où les guerres ne se pratiquent que si les combattants sont de force totalement égale : vous êtes dans L'autre monde ou Les états et empires de la Lune.
Les voyages interplanétaires, la montgolfière et le parachute, le magnétophone, la théorie de l'évolution : Cyrano de Bergerac, en visionnaire, a déjà tout anticipé. Et s'il ne s'embarrasse pas des considérations techniques ou pratiques, c'est qu'en poète il affirme le pouvoir absolu de l'imagination.
Persuadé que l'astre lunaire est un monde comparable au nôtre, le narrateur décide de s'y rendre. Une premier tentative le mène au Canada, d'où il parvient, presque par accident, sur la Lune, mais pour se voir aussitôt capturé par ses habitants. Les sélénites vont à quatre pattes, les uns communiquent au moyen d'un langage musical, les autres au moyen d'un langage gestuel. Ils pratiquent caresses et massages en tant que marques d'hospitalité, se nourrissent d'odeurs et dorment dans des lits de fleurs. La poésie est leur monnaie.
Iconophage, collecteur d'images de tous genres, recycleur d'un corpus iconographique qu'il hybride, Benjamin Monti est né en 1974 à Liège. Son travail graphique atypique se situe entre la bande dessinée et l'art contemporain. Il participe à la publication de nombreux fanzines. Pour les éditions du Chemin de fer, il a déjà illustré Vies d'un immortel, de Bernard Noël.