Le tableau dit Christian Ruhaut, est une fenêtre ouverte sur quelque chose...
Cette chose, bien sûr n'est pas là avant que le tableau existe, mais le tableau une fois terminé, la " chose " demeure en instance d'apparition. " Je ne vois pas l'intérêt de reproduire ce qui existe déjà. L'important pour moi est de faire apparaître ce qui n'existe pas, y compris dans ma propre pensée. C'est réellement une aventure, dont à l'avance, je ne connais ni le déroulement, ni l'issue. S'il y a forme, ce n'est pas l'aspect essentiel. Je ne donne pas d'importance à la forme. La forme fige, encadre. " " Si elle existe, elle n'est pas définie préalablement : aucun trait de crayon sur la toile blanche qui va déterminer un projet. C'est à l'opposé de ma première période où tout était pensé, défini et dessiné au préalable. A présent, je traduis plutôt un état d'être, une aspiration, un ensemble de sentiments et d'émotions qui m'habitent dans l'instant où je peins. Un sentiment, une émotion, l'aspiration n'ont pas de forme. Nous pouvons représenter la paix par une colombe blanche. Cela n'est qu'un code qui limite. Je ne pense pas que cette représentation réveillera ou révèlera chez le spectateur le sentiment qui s'y rapporte. " " A présent, le tableau se compose au fur et à mesure, un geste en appelle un autre, telle couleur en appelle une autre. L'essentiel est de rester ouvert aux multiples possibilités présentes, de se laisser guider. " " Mes tableaux n'ont d'ailleurs pas de titres. Trois raisons à cela. La première : le titre induit une idée, il oriente, il fige. Il fait obstacle à l'aventure. Il détermine ce que le spectateur doit voir. Le voyage devient difficile. Le titre ramènera toujours à ce qui doit être, à ce qui a été défini au préalable.
" Deuxième raison : je ne mets pas de titre parce que je ne connais pas ce que je peins. Je ne connais pas les lieux. Tout ce que je sais, c'est que les tableaux sont peints dans mon atelier, dans un espace temps particulier. C'est l'Atelier." " Troisième raison : pas de titre parce que pas de forme à préciser, pas d'intention préalable. " Christian Ruhaut Les tableaux témoins ou les oeuvres sur papier que Christian Ruhaut a conservées indiquent diverses périodes.
La première peut être qualifiée de " surréaliste ", terme un peu trop facile car s'il y a bien là un certain fantastique onirique, l'intérêt est dans la création d'un espace où l'on sent que l'imaginaire respire en soufflant des figures aux postures étranges.
La période suivante est d'apparence plus abstraite. Elle est composée d'une marqueterie de petits aplats informels ou d'empreintes dont l'assemblage séduit l'oeil et le satisfait esthétiquement.
Deux tableaux exceptionnels d'allure expressionniste Chaos et La Guerre des Trois dont on ne saurait dire qu'ils constituent une période puisqu'ils sont sans suite et sans précédents. Leur puissance expressive est telle qu'elle emporte toute réserve.
Mais l'oeuvre de Christian Ruhaut est chargée d'une force qu'il qualifie " d'émotionnelle ". Ce qu'elle est de toute évidence tout en étant pensive et musicale. Ce qu'elle ne saurait être si elle n'était pas avant tout l'émanation - ou l'empreinte - de celui qui dépose en elle sa réflexion, sa pensée, sa vie .
Bernard Noël
Tache ou ride ou pointillé ou nuage ou trait chaque détail joint le vide et la plénitude ils respirent l'un dans l'autre au bout du pinceau la tê te et le coeur.
Un jour, l'auteur fut frappé par la nature de l'espace inclus entre le dos du peintre et le dos de la toile.
Il y avait là quelque chose qui, jusque-là, était demeuré invisible - et qui l'était encore tout en devenant manifeste, c'est-à-dire sensible et même substantiel. Entre ces deux dos l'espace avait cessé d'être simplement de l'air, il était une extension du corps, un supplément corporel. Dès lors, il y a eu conscience d'un supplément semblable entre le corps et le sujet regardé conscience d'une relation physique à l'intérieur de toute vue attentivement arrêtée sur l'Autre...
Voici quelques romans de cette relation !
André Naggar, depuis longtemps, qualifie de "mentales" ses images photo-graphiques. Comment une image, qui nous montre du visible et qui en est composée, peut-elle nous donner à voir ce qui, par essence, passe pour invisible? Les choses, bien sûr, ne sont pas aussi simplement distinctes, aussi tranchées, mais les photographies d'André Naggar nous mettent face à une telle étrangeté qu'il faut bien s'interroger sur leur nature: celle de leur visibilité. Doit-on mettre en question le visible? Cette pensée, en tout cas, ne se laisse pas écarter de sorte qu'elle conduit vers une histoire de l'oeil en rupture avec nos perceptions habituelles.
Les Vacances de Hegel, le tableau que Magritte peignit en 1958 et qui représente un parapluie ouvert surmonté d'un verre aux trois quarts plein, est au centre de cette étude. Itinéraire plutôt qu'étude, en fait, puisqu'il ne s'agit pas ici d'expliquer une uvre, d'en épuiser le sens en se l'appropriant, mais d'épouser le mouvement d'une pensée qui travaille visiblement, de se placer sous un regard qui est aussi une peinture et aussi une pensée et cela par l'écriture, cette description invisible... Bernard Noël, s'appuyant sur une analyse du regard qu'en retour l'uvre provoque et sur les textes laissés par le peintre, restitue le fonctionnement de cette pensée qui se confond avec sa matérialisation.
" Je suis très heureux quand je peux travailler, mais pas toujours, car je n'en suis pas toujours digne : parfois je me laisse envahir par l'angoisse, et puis je suis trop souvent dérangée...
Pas forcément par des gens. J'aime ceux qui savent être présents... Quand on veut faire passer dans la main quelque chose qui est dans la tête, c'est très long, et ça ne vient pas comme on avait pensé. Il y a une lutte entre la tête et la main. Je ne me sens pas gestuelle. Je ne sens pas que je fais un geste. Je sens que je fais quelque chose qui obéit à ma tête, à ma pensée. Ce qui se passe là est merveilleux...
" Vieira da Silva
Exposition Matisse-Picasso au Grand Palais du 26 septembre 2002 au 13 janvier 2003.
Nourri par les mots mêmes de Matisse sur son art, ce texte de Bernard Noël, à deux voix, éclaire de manière exceptionnelle l'apport fondamental de cette création et sa réussite : « la forme décantée jusqu'à l'essentiel .» C'est-à-dire, selon l'auteur, « l'accord de la vue et du toucher dans une plénitude .»Ou comment atteindre « l'espace unifié de la vision mentale » ou encore comment « faire mentalement espace avec toutes les direction de l'espace. » Et Bernard Noël de conclure : « L'expression qui suggère n'a pas la courte vie de l'expression qui explique : on n'en finit pas. » Ces formules lumineuses du poète, empreintes d'une fraternité de recherche avec le peintre, explique bien mieux Matisse en quelques phrases que des sommes d'exégèses érudites.