«Lorsque Gregor Samsa s'éveilla un matin au sortir de rêves agités, il se retrouva dans son lit changé en un énorme cancrelat. [...] Que m'est-il arrivé ? pensa-t-il. Ce n'était pas un rêve. [...] Et si je continuais un peu à dormir et oubliais toutes ces bêtises, pensa-t-il, mais cela était tout à fait irréalisable, car il avait coutume de dormir sur le côté droit et il lui était impossible, dans son état actuel, de se mettre dans cette position. Il avait beau se jeter de toutes ses forces sur le côté droit, il rebondissait sans cesse sur le dos.»
Trois récits majeurs de Kafka - "La Métamorphose", "Le Verdict" et "Le Mécano" - réunis en un volume. Kafka, habituellement réticent à publier, soumet ce projet à son éditeur dès 1913, à qui il écrit : "Il existe entre ces trois textes un lien manifeste, et même au-delà, un lien secret". Il ne paraîtra en allemand qu'en 1989 et pour la première fois en français avec le présent ouvrage.
Tous les trois surgissent en 1912, dans un intervalle intense et libérateur de dix semaines. On y retrouve les thématiques de l'oeuvre ultérieure ainsi que l'influence profonde de la mystique juive.
Envisagé comme un tout fondateur, infusé par la mythologie kabbalistique, Les Fils permet de renouer avec la démarche originelle de Kafka et ouvre de nouvelles pistes de lecture d'une oeuvre inépuisable...
On raconte que c'est grâce aux éditions clandestines du samizdat - et donc, sans nom d'auteur - que fut introduite en Union soviétique la traduction du Procès. Les lecteurs pensèrent, dit-on, qu'il s'agissait de l'oeuvre de quelque dissident, car ils découvraient, dès le premier chapitre, une scène familière:l'arrestation au petit matin, sans que l'inculpé se sût coupable d'aucun crime, les policiers sanglés dans leur uniforme, l'acceptation immédiate d'un destin apparemment absurde, etc. Kafka ne pouvait espérer une plus belle consécration posthume. Et pourtant, les lecteurs russes se trompaient. Le projet de Kafka n'était pas de dénoncer un pouvoir tyrannique ni de condamner une justice mal faite. Le procès intenté à Joseph K., qui ne connaîtra pas ses juges, ne relève d'aucun code et ne pouvait s'achever ni sur un acquittement si sur une damnation, puisque Joseph K. n'était coupable que d'exister.
«Très cher père,Tu m'as demandé récemment pourquoi je prétends avoir peur de toi. Comme d'habitude, je n'ai rien su te répondre...»Réel et fiction ne font qu'un dans la lettre désespérée que Kafka adresse à son père. Il tente, en vain, de comprendre leur relation qui mêle admiration et répulsion, peur et amour, respect et mépris.Réquisitoire jamais remis à son destinataire, tentative obstinée pour comprendre, la Lettre au père est au centre de l'oeuvre de Kafka.
Faut-il le rappeler ? Les textes ici réunis n'étaient pas destinés à la publication, et Kafka eut soin de le faire savoir à son ami Max Brod : «tout ce qui se trouve dans ce que je laisse derrière moi [...] en fait de journaux, manuscrits, lettres, écrites par d'autres ou par moi, dessins, etc., est à brûler sans restriction et sans être lu». Brod divulgua pourtant ces documents, progressivement et partiellement. Son geste passa tantôt pour une trahison, tantôt pour le signe tangible d'une fidélité vraie. Il reste, quoi qu'on en pense, que ces écrits dits «intimes» enrichissent la voix de Kafka et contribuent à faire d'elle l'une des plus singulières qui soient.Dans le sillage de ses romans, tous les écrits de Kafka ont peu à peu acquis un statut «littéraire». D'une centaine de fiches numérotées on a fait le recueil des Aphorismes de Zürau, parfois intitulé Considérations sur le péché, la souffrance, l'espérance et la vraie voie. La Lettre au père, nouvelle «description d'un combat», fut un temps promise à l'envoi postal, mais se lit aujourd'hui comme un texte autonome, et comme l'une des clés de l'oeuvre : Kafka déclara plusieurs fois son intention d'en confier le manuscrit à Milena Pollak afin de lui donner accès à une compréhension plus profonde de sa difficulté à vivre et à aimer - difficulté dont les lettres à Felice Bauer témoignent massivement. Ces lettres à Felice et les lettres à Milena (on a eu tôt fait de réduire ces jeunes femmes à leur prénom) ont été considérées comme de grands romans d'amour. Leur quantité, leur tonalité, la puissance des affects présidant à leur écriture les destinaient à une existence littéraire propre. Elles démontraient la violence chez Kafka du désir de vivre pour et par l'écriture, contre les voeux du père.Quant au Journal, il bénéficie d'une forte image d'«oeuvre pour soi ». Il fut pour son auteur un lieu de vie et de survie solitaire dans les profondeurs protectrices de l'écriture, un réseau souterrain de stockage sans cesse ouvert sur des galeries nouvelles - un terrier. Très hétérogènes, les cahiers de Journal servaient à consigner des notes personnelles et des récits de rêves, mais aussi à recueillir des chapitres de romans ou des ébauches de récits, à rédiger des brouillons de lettres, à accueillir des dessins et des exercices d'écriture. Ils sont ici traduits intégralement. Les nouvelles et récits contenus dans ces cahiers, et que l'on avait isolés pour les publier au tome I de cette édition, figurent donc de nouveau au sein du Journal, sous une autre lumière. Le corpus intégral des lettres de Kafka, dont quelques-unes étaient encore inédites en français, est ici classé selon la chronologie, et non plus, comme autrefois, par correspondants. C'est l'occasion d'une redécouverte - l'occasion aussi de prendre conscience de l'intrication des notes personnelles ou intimes, des projets littéraires et des lettres quotidiennes. Chaque tome contient en effet les Journaux de la période
Faut-il le rappeler ? Les textes ici réunis n'étaient pas destinés à la publication, et Kafka eut soin de le faire savoir à son ami Max Brod : «tout ce qui se trouve dans ce que je laisse derrière moi [...] en fait de journaux, manuscrits, lettres, écrites par d'autres ou par moi, dessins, etc., est à brûler sans restriction et sans être lu». Brod divulgua pourtant ces documents, progressivement et partiellement. Son geste passa tantôt pour une trahison, tantôt pour le signe tangible d'une fidélité vraie. Il reste, quoi qu'on en pense, que ces écrits dits «intimes» enrichissent la voix de Kafka et contribuent à faire d'elle l'une des plus singulières qui soient.Dans le sillage de ses romans, tous les écrits de Kafka ont peu à peu acquis un statut «littéraire». D'une centaine de fiches numérotées on a fait le recueil des Aphorismes de Zürau, parfois intitulé Considérations sur le péché, la souffrance, l'espérance et la vraie voie. La Lettre au père, nouvelle «description d'un combat», fut un temps promise à l'envoi postal, mais se lit aujourd'hui comme un texte autonome, et comme l'une des clés de l'oeuvre : Kafka déclara plusieurs fois son intention d'en confier le manuscrit à Milena Pollak afin de lui donner accès à une compréhension plus profonde de sa difficulté à vivre et à aimer - difficulté dont les lettres à Felice Bauer témoignent massivement. Ces lettres à Felice et les lettres à Milena (on a eu tôt fait de réduire ces jeunes femmes à leur prénom) ont été considérées comme de grands romans d'amour. Leur quantité, leur tonalité, la puissance des affects présidant à leur écriture les destinaient à une existence littéraire propre. Elles démontraient la violence chez Kafka du désir de vivre pour et par l'écriture, contre les voeux du père.Quant au Journal, il bénéficie d'une forte image d'«oeuvre pour soi ». Il fut pour son auteur un lieu de vie et de survie solitaire dans les profondeurs protectrices de l'écriture, un réseau souterrain de stockage sans cesse ouvert sur des galeries nouvelles - un terrier. Très hétérogènes, les cahiers de Journal servaient à consigner des notes personnelles et des récits de rêves, mais aussi à recueillir des chapitres de romans ou des ébauches de récits, à rédiger des brouillons de lettres, à accueillir des dessins et des exercices d'écriture. Ils sont ici traduits intégralement. Les nouvelles et récits contenus dans ces cahiers, et que l'on avait isolés pour les publier au tome I de cette édition, figurent donc de nouveau au sein du Journal, sous une autre lumière. Le corpus intégral des lettres de Kafka, dont quelques-unes étaient encore inédites en français, est ici classé selon la chronologie, et non plus, comme autrefois, par correspondants. C'est l'occasion d'une redécouverte - l'occasion aussi de prendre conscience de l'intrication des notes personnelles ou intimes, des projets littéraires et des lettres quotidiennes. Chaque tome contient en effet les Journaux de la période
Dans ces douze cahiers, que Kafka qualifie parfois de Journal, observations de vie quotidienne, rêves, visions, fulgurations, réflexions et même dessins alternent avec de multiples débuts de récit, certains répétés comme s'il s'agissait de réchauffer un moteur narratif refroidi. Dans cette galaxie brille un seul récit achevé, Le Verdict, écrit d'une traite une nuit de 1912, devenu pour l'écrivain le modèle du bonheur de raconter.
Mille et une nuits d'écriture de notations et de récits qui mettent en scène les affres et les exaltations de celui qui dit de lui-même :
Finir prisonnier - ce serait un but dans la vie. Mais c'était une cage entourée d'une grille... comme s'il était chez lui le bruit du monde affluait et ressortait par la grille, en fait le prisonnier était libre, il pouvait avoir part à tout, rien au dehors ne lui échappait... il n'était même pas prisonnier.
Loin des sanctifications et des discordes, ces carnets nous font entrer avec Kafka au pays de l'écriture.
D. T.
800 pages,
«- Dans quel village me suis-je égaré ? Y a-t-il donc ici un château ?- Mais oui, dit le jeune homme lentement, et quelques-uns des paysans hochèrent la tête, c'est le château de M. le Comte Westwest.- Il faut avoir une autorisation pour pouvoir passer la nuit ? demanda K. comme s'il cherchait à se convaincre qu'il n'avait pas rêvé ce qu'on lui avait dit.- Il faut avoir une autorisation, lui fut-il répondu, et le jeune homme, étendant le bras, demanda, comme pour railler K., à l'aubergiste et aux clients : - À moins qu'on ne puisse s'en passer ?...»
Faut-il le rappeler ? Les textes ici réunis n'étaient pas destinés à la publication, et Kafka eut soin de le faire savoir à son ami Max Brod : «tout ce qui se trouve dans ce que je laisse derrière moi [...] en fait de journaux, manuscrits, lettres, écrites par d'autres ou par moi, dessins, etc., est à brûler sans restriction et sans être lu». Brod divulgua pourtant ces documents, progressivement et partiellement. Son geste passa tantôt pour une trahison, tantôt pour le signe tangible d'une fidélité vraie. Il reste, quoi qu'on en pense, que ces écrits dits «intimes» enrichissent la voix de Kafka et contribuent à faire d'elle l'une des plus singulières qui soient.Dans le sillage de ses romans, tous les écrits de Kafka ont peu à peu acquis un statut «littéraire». D'une centaine de fiches numérotées on a fait le recueil des Aphorismes de Zürau, parfois intitulé Considérations sur le péché, la souffrance, l'espérance et la vraie voie. La Lettre au père, nouvelle «description d'un combat», fut un temps promise à l'envoi postal, mais se lit aujourd'hui comme un texte autonome, et comme l'une des clés de l'oeuvre : Kafka déclara plusieurs fois son intention d'en confier le manuscrit à Milena Pollak afin de lui donner accès à une compréhension plus profonde de sa difficulté à vivre et à aimer - difficulté dont les lettres à Felice Bauer témoignent massivement. Ces lettres à Felice et les lettres à Milena (on a eu tôt fait de réduire ces jeunes femmes à leur prénom) ont été considérées comme de grands romans d'amour. Leur quantité, leur tonalité, la puissance des affects présidant à leur écriture les destinaient à une existence littéraire propre. Elles démontraient la violence chez Kafka du désir de vivre pour et par l'écriture, contre les voeux du père.Quant au Journal, il bénéficie d'une forte image d'«oeuvre pour soi ». Il fut pour son auteur un lieu de vie et de survie solitaire dans les profondeurs protectrices de l'écriture, un réseau souterrain de stockage sans cesse ouvert sur des galeries nouvelles - un terrier. Très hétérogènes, les cahiers de Journal servaient à consigner des notes personnelles et des récits de rêves, mais aussi à recueillir des chapitres de romans ou des ébauches de récits, à rédiger des brouillons de lettres, à accueillir des dessins et des exercices d'écriture. Ils sont ici traduits intégralement. Les nouvelles et récits contenus dans ces cahiers, et que l'on avait isolés pour les publier au tome I de cette édition, figurent donc de nouveau au sein du Journal, sous une autre lumière. Le corpus intégral des lettres de Kafka, dont quelques-unes étaient encore inédites en français, est ici classé selon la chronologie, et non plus, comme autrefois, par correspondants. C'est l'occasion d'une redécouverte - l'occasion aussi de prendre conscience de l'intrication des notes personnelles ou intimes, des projets littéraires et des lettres quotidiennes. Chaque tome contient en effet les Journaux de la période
Extrait de Oeuvres complètes, I (Bibliothèque de la Pléiade)
La littérature doit beaucoup aux testaments trahis. La plus grande partie de l'oeuvre de Kafka, par exemple. Histoire connue. Franz Kafka demande à son ami Max Brod de détruire - vernichten, dit-il, «anéantir» - après sa mort les papiers inédits qu'il laisse derrière lui, ses manuscrits littéraires aussi bien que ses écrits personnels, journaux et lettres. Brod refuse d'obtempérer. Sa trahison, si c'en est une, est double. Il ne se contente pas de conserver les inédits : il les fait paraître. Aux romans et récits s'ajoutent bientôt, dans des versions d'abord édulcorées, les écrits intimes. Quant aux éditions françaises réunissant plusieurs textes, elles ne respecteront pas les recueils organisés et publiés par Kafka, mais mêleront - nouvelle trahison - récits publiés et écrits posthumes.
Sur le résultat les avis divergent. Certains lecteurs en ont plusieurs. Un expert en testaments trahis comme Milan Kundera situe Kafka au sommet de son panthéon personnel et, au sommet du sommet, place les romans, tous trois sauvés par Brod. Pourtant, Brod lui paraît coupable : divulguer ce qu'un écrivain a souhaité voir détruire, c'est «le même acte de viol que censurer ce qu'il a décidé de garder». Quant au fait de mêler posthumes et ouvrages publiés par Kafka, cela produit, selon Kundera toujours, «un flot informe comme seule l'eau peut l'être, l'eau qui coule et entraîne avec elle bon et mauvais, achevé et non achevé, fort et faible, esquisse et oeuvre».
Sans renoncer à aucune oeuvre ni à aucune esquisse - Brod fut peut-être un traître, mais sa trahison était à coup sûr nécessaire -, la présente édition adopte une disposition plus fidèle à l'histoire de la découverte de l'oeuvre de Kafka. Elle propose, en ouverture, l'intégralité des textes publiés par lui, ici restaurés dans la forme (recueil, petit livre ou publication dans la presse) qu' il a voulue pour eux. Puis viennent ses récits et fragments narratifs posthumes : ceux que l'on trouve dans ses Journaux, qui servaient aussi de laboratoire littéraire, et ceux des liasses ou des cahiers dans lesquels il composait la plupart de ses récits.
L'ensemble est retraduit. Les conditions d'une redécouverte sont réunies.
« Lorsque Gregor Samsa s'éveilla un matin, au sortir de rêves agités, il se trouva dans son lit métamorphosé en un monstrueux insecte. Il reposait sur son dos qui était dur comme une cuirasse, et, en soulevant un peu la tête, il apercevait son ventre bombé, brun, divisé par des arceaux rigides, au sommet duquel la couverture du lit, sur le point de dégringoler tout à fait, ne se maintenait que d'extrême justesse. D'impuissance, ses nombreuses pattes, d'une minceur pitoyable par rapport au volume du reste, papillonnèrent devant ses yeux. « Qu'est-il advenu de moi ? » pensa-t-il. Ce n'était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre humaine quoiqu'un peu trop petite, était là, paisible entre les quatre murs familiers... »
La littérature doit beaucoup aux testaments trahis. La plus grande partie de l'oeuvre de Kafka, par exemple. Histoire connue. Franz Kafka demande à son ami Max Brod de détruire - vernichten, dit-il, «anéantir» - après sa mort les papiers inédits qu'il laisse derrière lui, ses manuscrits littéraires aussi bien que ses écrits personnels, journaux et lettres. Brod refuse d'obtempérer. Sa trahison, si c'en est une, est double. Il ne se contente pas de conserver les inédits : il les fait paraître. Aux romans et récits s'ajoutent bientôt, dans des versions d'abord édulcorées, les écrits intimes. Quant aux éditions françaises réunissant plusieurs textes, elles ne respecteront pas les recueils organisés et publiés par Kafka, mais mêleront - nouvelle trahison - récits publiés et écrits posthumes.
Sur le résultat les avis divergent. Certains lecteurs en ont plusieurs. Un expert en testaments trahis comme Milan Kundera situe Kafka au sommet de son panthéon personnel et, au sommet du sommet, place les romans, tous trois sauvés par Brod. Pourtant, Brod lui paraît coupable : divulguer ce qu'un écrivain a souhaité voir détruire, c'est «le même acte de viol que censurer ce qu'il a décidé de garder». Quant au fait de mêler posthumes et ouvrages publiés par Kafka, cela produit, selon Kundera toujours, «un flot informe comme seule l'eau peut l'être, l'eau qui coule et entraîne avec elle bon et mauvais, achevé et non achevé, fort et faible, esquisse et oeuvre».
Sans renoncer à aucune oeuvre ni à aucune esquisse - Brod fut peut-être un traître, mais sa trahison était à coup sûr nécessaire -, la présente édition adopte une disposition plus fidèle à l'histoire de la découverte de l'oeuvre de Kafka. Elle propose, en ouverture, l'intégralité des textes publiés par lui, ici restaurés dans la forme (recueil, petit livre ou publication dans la presse) qu' il a voulue pour eux. Puis viennent ses récits et fragments narratifs posthumes : ceux que l'on trouve dans ses Journaux, qui servaient aussi de laboratoire littéraire, et ceux des liasses ou des cahiers dans lesquels il composait la plupart de ses récits.
L'ensemble est retraduit. Les conditions d'une redécouverte sont réunies.
C'est une idée éditoriale contemporaine de l'écrivain que de réunir ces textes, à laquelle Kafka opposa, en 1916, l'argument suivant : «Verdict et Colonie pénitentiaire formeraient une exécrable combinaison ; à la rigueur La Métamorphose pourrait leur servir d'intermédiaire, mais sans elle cela reviendrait vraiment à prendre deux têtes étrangères et à les cogner de force l'une contre l'autre.» Nous le prenons au mot et cognons ces deux récits, éclairés des oeuvres postérieures, l'un contre l'autre. «Le principe en vertu duquel je prononce est que la faute est toujours hors de doute.»
«Lorsque, à seize ans, le jeune Karl Rossmann, que ses pauvres parents envoyaient en exil parce qu'une bonne l'avait séduit et rendu père, entra dans le port de New York sur le bateau déjà plus lent, la statue de la Liberté, qu'il observait depuis longtemps, lui apparut dans un sursaut de lumière. On eût dit que le bras qui brandissait l'épée s'était levé à l'instant même, et l'air libre soufflait autour de ce grand corps...»
Franz Kafka connut d'abord Milena comme traductrice : elle établissait la version tchèque de quelques-unes de ses proses courtes. Ces relations se transformèrent en une liaison passionnée dont les lettres permettent de suivre le progrès. Cette passion ne dura qu'un instant, elle tient en quelques mois à peine.Les lettres racontent d'un bout à l'autre ce roman d'amour, orgie de désespoir et de félicité, de mortification et d'humiliation. Car quelle qu'ait pu être la fréquence de leurs rencontres, leurs amours restent essentiellement épistolaires comme celles de Werther ou de Kierkegaard.Milena est morte vingt ans après Kafka, dans le camp de concentration de Ravensbrück.
En cheminant dans ce recueil où des textes illustres comme La Métamorphose côtoient des trésors souterrains comme Regard, nous domptons nos propres angoisses, mises à nu par l'humour noir de Kafka. Alors que nous errons dans les méandres d'une conscience tourmentée, la voix désolée de Kafka nous berce. En véritable ami, Kafka offre la consolation qui lui a toujours manqué. À entendre ce ton immédiatement familier dans un monde rendu étrange et sévère sous sa plume, nous mesurons le prix de ce compagnonnage noué le temps d'une lecture. Lire Kafka, c'est endosser le rôle indispensable de son interlocuteur muet.
Les étonnants paradoxes de l'âme humaine et les fragiles labyrinthes du psychisme de l'enfant exposés dans les lettres où Kafka analyse le comportement de l'« animal-famille ». Questionnant le joug familial, il s'extirpe du lacis de ses fiançailles et démolit, non sans émotion, la figure paternelle. Le plus surprenant prosateur du vingtième siècle se révèle être un pédagogue subtil et d'une extrême lucidité.
La littérature doit beaucoup aux testaments trahis. La plus grande partie de l'oeuvre de Kafka, par exemple. Histoire connue. Franz Kafka demande à son ami Max Brod de détruire - vernichten, dit-il, «anéantir» - après sa mort les papiers inédits qu'il laisse derrière lui, ses manuscrits littéraires aussi bien que ses écrits personnels, journaux et lettres. Brod refuse d'obtempérer. Sa trahison, si c'en est une, est double. Il ne se contente pas de conserver les inédits : il les fait paraître. Aux romans et récits s'ajoutent bientôt, dans des versions d'abord édulcorées, les écrits intimes. Quant aux éditions françaises réunissant plusieurs textes, elles ne respecteront pas les recueils organisés et publiés par Kafka, mais mêleront - nouvelle trahison - récits publiés et écrits posthumes.
Sur le résultat les avis divergent. Certains lecteurs en ont plusieurs. Un expert en testaments trahis comme Milan Kundera situe Kafka au sommet de son panthéon personnel et, au sommet du sommet, place les romans, tous trois sauvés par Brod. Pourtant, Brod lui paraît coupable : divulguer ce qu'un écrivain a souhaité voir détruire, c'est «le même acte de viol que censurer ce qu'il a décidé de garder». Quant au fait de mêler posthumes et ouvrages publiés par Kafka, cela produit, selon Kundera toujours, «un flot informe comme seule l'eau peut l'être, l'eau qui coule et entraîne avec elle bon et mauvais, achevé et non achevé, fort et faible, esquisse et oeuvre».
Sans renoncer à aucune oeuvre ni à aucune esquisse - Brod fut peut-être un traître, mais sa trahison était à coup sûr nécessaire -, la présente édition adopte une disposition plus fidèle à l'histoire de la découverte de l'oeuvre de Kafka. Elle propose, en ouverture, l'intégralité des textes publiés par lui, ici restaurés dans la forme (recueil, petit livre ou publication dans la presse) qu' il a voulue pour eux. Puis viennent ses récits et fragments narratifs posthumes : ceux que l'on trouve dans ses Journaux, qui servaient aussi de laboratoire littéraire, et ceux des liasses ou des cahiers dans lesquels il composait la plupart de ses récits.
L'ensemble est retraduit. Les conditions d'une redécouverte sont réunies.
"Celui qui de son vivant ne vient pas au bout de sa vie il a besoin de l'une de ses mains pour écarter un peu le désespoir que lui cause son destin - il n'y arrive que très imparfaitement - et de l'autre main il peut enregistrer ce qu'il aperçoit sous les décombres, car il voit autre chose et plus que les autres."
« Et si je redormais encore un peu et oubliais toutes ces sottises?»Lorsque Gregor Samsa s'éveille un matin après une nuit agitée, il doit se rendre à l'évidence:il est bel et bien métamorphosé. Doté d'une épaisse carapace d'où s'échappent de pitoyables petites pattes. Lugubre plaisanterie? Hélas!Plutôt une ultime défense contre ceux qui, certes, ne sont pas des monstres, mais de vulgaires parasites. Les siens, en somme - père, mère, soeur -, dont l'ambition est de l'éliminer après avoir contribué à l'étouffer.Dans la seconde nouvelle, l'expérimentation se fait en direct:un soldat est le jouet d'une machine infernale.
« Nulle anecdote adventice, nul autre personnage - hors cet intrus, à la réalité hypothétique, qui vient soudainement perturber le silence du terrier - encore que, plus on avance dans le récit, plus on a le sentiment que le terrier est, lui aussi, un personnage. La solitude avec ses bienfaits évidents et ses méfaits éventuels et le thème principal du Terrier. Cette image de terrier - et plus généralement celle de l'enfouissement - comme symbole de la solitude revient souvent sous la plume de Kafka, tant dans sa correspondance et dans son journal que dans ses récits. ».
J.-P. Verdet
Les Journaux de Kafka, toujours surprenants, sont le lieu d'une écriture lucide et inquiète où se mêlent intime et dehors, humour et noirceur, visions du jour et scènes de rêves, où se succèdent notes autobiographiques, récits de voyages et de rencontres, énoncés lapidaires, ainsi qu'esquisses et fragments narratifs plus longs. Dans ce battement entre vie écrite par éclats et soudaines amorces fictionnelles, les Journaux se révèlent être le coeur de l'oeuvre de Kafka : le lieu où les frontières entre la vie et l'oeuvre s'évanouissent.
Cette édition est la première traduction intégrale des Journaux de Franz Kafka. La seule traduction française visant l'intégralité était à ce jour celle de Marthe Robert, publiée en 1954 chez Grasset. Mais elle ne correspond pas à l'intégralité des Journaux de Kafka. En effet, elle se base sur la version établie par Max Brod en 1951 : celui-ci avait procédé à une censure des textes de son ami, en éliminant les noms des personnes encore vivantes, et un certain nombre des remarques qui le concernaient lui-même. Dans sa volonté de faire de Kafka un « saint laïque », il avait également supprimé des passages jugés « obscènes ». Enfin sa chronologie, qui a été suivie par Marthe Robert, s'est avec le temps avérée erronée (la traduction française contenait d'ailleurs un certain nombre de fragments traduits à partir de la version anglaise, plus complète que l'édition originale en allemand - avec tous les risques qu'une traduction de traduction comporte). Se pose enfin la question, cruciale, de la place à accorder aux fragments fictionnels. Dans l'édition de « La Pléiade », ils sont absents du volume contenant les journaux. Or, ces textes figurent dans les mêmes cahiers manuscrits qui contiennent les notations « diaristes ». Et il y a un intérêt certain, par exemple, à pouvoir lire dans la continuité la première version, manuscrite, d'une nouvelle et, immédiatement après, le commentaire qu'en fait Kafka.
Les Journaux ce sont, matériellement, 12 cahiers in-octavo. Ils couvrent les années 1910 à 1922, avec de fortes disparités quant à la fréquence et à la longueur des notations. Kafka ne faisait pas de différence, quant au support d'écriture, entre la fiction et « l'autobiographie », celle-ci étant évidemment liée au projet de la tenue d'un « journal ». Nous suivons donc la leçon qui a été proposée dès 1990 par les éditeurs allemands de la « Kritische Ausgabe », qui ont reproduit à l'identique les cahiers manuscrits. La chronologie qui en résulte est très différente de celle de Max Brod. Le texte corrige aussi certaines erreurs du déchiffrage initial des manuscrits.
Cette version est donc la première à traduire en français l'intégralité des cahiers des journaux à partir des manuscrits. La traduction de Robert Kahn reste au plus près de l'écriture de Kafka, en préservant les litotes, la syntaxe, en « laissant résonner dans la langue d'arrivée l'écho de l'original ». Elle s'inscrit ainsi à la suite de ses retraductions remarquables des lettres À Milena (2015) et des Derniers cahiers (2017).