Cette édition réunit pour la première fois tous les textes que le poète Jacques Dupin a consacrés à Giacometti : le tout premier, écrit pour les Cahiers d'art en 1954, les Textes pour une approche, huit ans plus tard, celui que le poète donne pour le catalogue de la grande exposition de 1978 à la Fondation Maeght de Saint-Paul de Vence, l'introduction à la publication des Écrits de Giacometti, le récit de son expérience de modèle de Giacometti dans le livre publié par André Dimanche, et ce texte ultime que Jacques Dupin confie au magazine Télérama pour le numéro de 2007. Un poème enfin clôt ce recueil, extrait de « La mèche » qu'à la veille de sa mort Jacques Dupin donne à la revue Europe qui consacrait un numéro spécial au poète. Il s'y souvient de l'atelier d'Alberto, de son rire, des « figures amincies » qu'il façonnait à longueur de nuit et de leurs promenades communes, associant dans une ultime connivence sa boiterie récente à celle que conservait Giacometti, « moi boitant bas / lui clopinant ». De 1953 à 2012, c'est ainsi plus d'un demi-siècle d'attention que Dupin aura accordée à une oeuvre si forte, connue de près, intimement éprouvée dans son élaboration même, avec son exigence et ses doutes, et cependant toujours perçue dans la distance et le vide qui l'entourent.
Dominique Viart, professeur de littérature française à l'université de Paris Nanterre, a rassemblé et préfacé ces textes. Il écrit : « Si les textes de Dupin s'avèrent si justes, ce n'est pas seulement qu'ils sont nés de la grande affinité personnelle entre le poète et l'artiste, c'est aussi et surtout que leurs démarches respectives se comprennent l'une à la lumière de l'autre. Il y va, écrira Dupin, d'un "partage énigmatique" ».
Avec L'Esclandre, Jean Frémon, Nicolas Pesques et Dominique Viart ont réuni l'ensemble des poèmes de Jacques Dupin qui restaient à rassembler en recueil, parachevant ainsi l'édition des oeuvres de Jacques Dupin. La plupart de ces textes sont issus de plaquettes ou de livres déjà publiés mais épuisés, ou de poèmes publiés dans des revues et qui n'avaient jamais été repris. Le titre du recueil, L'Esclandre, n'est donc pas de Jacques Dupin mais il suit l'usage établi par l'auteur de donner au titre d'un recueil le titre de l'une des suites de poèmes, différent des titres des plaquettes préalablement parues. Ce nouveau recueil, comme tous ceux qui jalonnent le parcours poétique de Dupin, Gravir (1963), L'Embrasure (1969), Dehors (1975), la traversée de la mort qu'évoque Une apparence de soupirail (1982), Contumace (1986), Échancré (1991), Le Grésil (1996), ne cesse d'accuser, à travers le morcellement du poème, l'ellipse de son sens, l'altération de sa métrique (« Je marche pour altérer quelque chose de pur »), le désir d'adhérer au monde et de s'obscurcir avec lui. Nulle célébration lyrique, mais un hérissement des réalités inassimilables pour exalter le surgissement vertical de l'être.
Ce volume regroupe les quatre premiers livres de poésie de Jacques Dupin : Gravir, L'embrasure, Dehors, Une apparence de soupirail.Jacques Dupin est originaire de l'Ardèche. Bien que vivant et travaillant à Paris depuis 1944, où il est arrivé à l'âge de dix-sept ans, il ne s'est pas éloigné de son territoire de pierres sèches et de buissons. Il écrit toujours avec et contre les éléments du paysage qui le constitue, avec et contre l'âpreté d'une langue opaque, qu'une vive lueur réussit parfois à traverser.Nul repos, nul sursis, une volonté qui s'active dans les muscles, les nerfs et le souffle pour naître à l'effraction du jour. Recommencement sans fin, matérialité déchirée, réitération ouverte, piétinement nécessaire : Dupin souligne lui-même le ressac, l'acharnement qui tente, par surprise, de saisir le réel, d'y inscrire une trace impossible.Sitôt l'empreinte avérée, elle s'efface dans un autre pas, vers une nouvelle empreinte, elle aussi à détruire ou à distancer. Comme si le silex disparaissait dans son éclat. Dure et foudroyante absence, qui accède, par brefs instants apaisés, à l'évidence d'un bleu intense, d'un bleu qui tourne le dos au ciel.La terre et les mots, le roc et l'impatience, la bourrasque et l'affrontement, le silence et le cri tué des douleurs, la poésie de Jacques Dupin, sans compromis ni nostalgie, est une profération sans prophétie ni message, un surgissement d'autant plus brutal qu'il ne se soucie pas de ses ravages.
Après Le corps clairvoyant, livre qui regroupe les poèmes de Jacques Dupin publiés chez Gallimard de 1963 à 1982, un second volume de Poésie/Gallimard reprend, sous le titre Ballast, les recueils composés les vingt années suivantes. Le choix de cet intitulé pour le moins lapidaire n'est pas fortuit et marque l'âpre volonté de considérer les mots du poème à l'égal de ces pierres brisées que l'on tasse sous les traverses des voies ferrées. Humbles supports, mais irréductibles, et qui sont nécessaires au transport, voire au voyage.
La minéralité est ici plus présente que jamais, à quoi s'ajoute cette force de rupture perçue d'emblée par Jean-Pierre Richard : «Le paysage de Dupin ne s'affirme en effet qu'en se trompant. Il naît de sa propre déchirure : disjonction qu'il réinvente, et interroge sans cesse sur le mode essentiel de l'agressivité. Foudres, rafales, chocs, saccades, lames, socs, pelles, brèches, enfoncements, éraflures, écorchures, obscurcissements, éclatements, dislocations, naufrages : voilà quelques-uns des instruments et des figures en lesquels se rêve, monotone et toujours varié, le si puissant dynamisme de l'assaut.» Un assaut qui se fonde aussi sur le refus radical des codes, des parures, des agréments, des séductions faciles. Comme le suggère Contumace, l'un des recueils repris ici, Jacques Dupin n'est pas un poète qui accepte de comparaître et, s'il doit être jugé, c'est à coup sûr en son absence. Sa poésie, toute d'intensité et d'inconfort, est de celle qui ouvre des brèches et laisse un réel échancré, sous une rude averse de grésil.
Ce livre rassemble les textes de Jacques Dupin demeurés dispersés, parus en revue ou en éditions limitées, parfois envoyés à des amis, et ses tout derniers écrits.
Tout au long de sa vie d'écrivain, Jacques Dupin avait coutume de publier ses poèmes en revue, puis de les reprendre dans des ouvrages à tirage restreint, accompagnés d'interventions d'artistes amis, avant de les regrouper enfin dans les recueils qu'il destinait à ses éditeurs princi- paux : Gallimard de 1963 à 1982 puis P.O.L. à partir de 1986. Certains toutefois n'ont pas trouvé l'ensemble qui les aurait accueillis, ou n'y ont été intégrés qu'au prix de modifications substantielles.
Ce recueil, qui embrasse toute la carrière poétique de l'auteur, depuis ses tout premiers textes jusqu'aux derniers, s'ouvre sur un document essentiel : la première lettre adressée, en 1948, par Jacques Dupin à René Char, qui préfaça quelques années plus tard le premier recueil du poète, Cendrier du voyage, repris ici même in extenso (cette lettre, exemplaire, est jointe au présent argumentaire). Prélude d'une longue amitié, cette lettre, récemment communiquée par Marie-Claude Char à Christine Dupin, est une page tournée vers l'oeuvre à venir.
La suite des textes s'organise de manière chronologique et respecte l'année de parution de chaque poème. On y trouve les premiers textes publiés en revue : « Comment dire ? », dans Empédocle, en 1949, les poèmes accueillis dans les Cahiers d'art et dans la revue italienne Botteghe oscure au cours des années 50. Armande Ponge, fille de Francis Ponge, a transmis la correspon- dance entre son père et Jacques Dupin à Gérard Farasse, qui en a préparé l'édition avant de disparaître. A deux reprises, Jacques Dupin joint des poèmes à sa lettre. La plupart sont repris dans Cendrier de voyage ou dans Gravir. Mais quatre d'entre eux demeurent inédits, ils ont trouvé place dans ce recueil.
Les autres textes sont plus récents, postérieurs pour la plupart aux années 90 ou contem- porains des dernières années du poète. Les tous derniers ont un statut un peu particulier. Adres- sés à Francis Cohen par un Jacques Dupin éprouvé, dans le cadre d'une correspondance dont ils étaient convenus, ce sont les ultimes écrits du poète, sa dernière salutation. Ils n'en appartiennent pas moins à son oeuvre.
Ce livre devait avoir un titre. Discorde est celui choisi par Jacques Dupin pour un volume tiré à 36 exemplaires, paru en 2011 avec une peinture de Jan Voss, qui figure intégralement dans le présent recueil. Le terme apparaît également à l'orée de l'oeuvre, dans « Comment dire ? » :
« Le chaos extérieur s'accordait à la discorde du coeur, qui lui renvoyait son reflet. Tiraillements et tour- billons s'effaçaient dans une indifférence au pire ».
Il était naturel que Discorde nomme cet ensemble : c'est déjà, et c'est encore la voix de Jacques Dupin que nous entendons dans ce mot.
Prose qui tient le poème à distance, parole de douleur, déchirée, plus cruelle encore d'aller se nourrir aux premières images de l'enfance et d'en revenir, désespérée, pour «écrire entre les pattes de cette tarentule millénaire. Être son comptable et son amant. Le cireur obséquieux de ses botillons glacés.» Cette écriture questionnée dans l'image du ver à soie et dans l'appel réitéré vers l'infinitif «écrire», écriture qui est marche, métamorphose, questionnement de notre ignorance.
Ce volume est la réédition de deux livres autrefois publiés par Jacques Dupin chez Fata Morgana (1983, 1986). On y trouve déjà, bien sûr, cette manière d'écrire si particulière : «Lyrique, à voix basse, et raucité», propre à cet écrivain qui charge tant d'énergie dans la parole du poème que cela produit «dans la langue un effet d'obscurité qui, paradoxalement, communique au lecteur - heurté, bousculé, choqué dans ses habitudes par l'énigme d'un sens en état de spasme perpétuel - cette violence où l'oeuvre d'art semble trouver sa dangereuse origine» comme a pu le dire le critique Yves Charnet.
Baudelaire disait que la poésie mène à la critique. Ce livre en est une vérification, une de plus. Jacques Dupin y réunit des textes qu'il a écrits sur d'autres écrivains, des poètes principalement. L'originalité de l'ensemble est qu'il fonctionne aussi comme un recueil de poèmes et, de fait, ces textes qui sont indéniablement des textes critiques sont aussi des poèmes. Comme si seule la poésie pouvait parler de la poésie, rendre présent son mystère sans pour autant essayer, vainement, de l'épuiser, sans l'enfouir sous une rhétorique universitaire inopérante.
Une autre caractéristique de ce livre est que si on y rencontre des auteurs et des oeuvres connus et célèbres (Blanchot, Ponge, Char, Jaccottet, Celan, du Bouchet, etc.) on y découvre aussi la curiosité constante et le goût de Jacques Dupin pour les écritures les plus risquées.
Cinq sections se partagent dans Écart le biographique de plus en plus apparent dans l'oeuvre de Jacques Dupin. Ici son enfance parmi les couleurs, les odeurs, les sensations les plus fortes et dans le mystère de parents si hauts. Son présent aussi que la maladie et la vieillesse qui meurtrit intensifient et que l'amour de la peinture exalte.
Écrire n'est pas une fin / tout au plus un cadavre à déplacer / loin du bord. Ce nouveau livre de Jacques Dupin, le sixième chez nous, et que six années séparent du dernier inédit, l'auteur laisse entendre lui-même qu'il est écrit dans l'imminence du désastre. Mais il rend aussi plus que jamais sensible ce chantier perpétuel où un magma informe de concrétions mentales le dispute à un fonds de langue issu de l'enfance et de la culture. Il accentue, avec encore plus de violence, un mouvement de l'écriture qui serait comme l'émancipation de cette lutte que se livrent l'obscur et le dicible.
Rien. Contumace. La poésie. Perdue, consumée... Ou bannie. Tenue à l'écart, dans ses propres marges. Dans la soute. Dans le soleil... Soustraite au jeu du monde. Inéchangeable au cours des monnaies. Massacrée sans laisser de cadavre. Devenue illisible et blanche, à incorporer l'intensité de la vie, la pulsion des gisements, le battement de la langue. Sans origine et sans fin. Imprenable, comme sont les racines et les ruines. Intouchable, comme est le feu... Dans le souffle un peu de poussière envolée qui fixe, un court instant, une autre lumière... Contumace, au-dessus des cendres, un scintillement de pollen...
Âpre et retenue, mais rageuse, violente, tout entière dans l'intensité de ses fragments, la poésie de Jacques Dupin s'adosse à la précarité de l'homme et de sa langue pour fouiller la mort, la disparition, le corps souffrant et désirant, bien en amont de toute subjectivité particulière. Une écriture sous tension. Ce nouveau livre poursuit et mène plus loin encore la mise à nu de l'écriture et la mise à l'épreuve du sujet qui sont au coeur de la démarche de l'auteur.
Ce recueil d'écrits de Jacques Dupin sur trente-cinq artistes contemporains ne participe vraiment ni d'une démarche d'historien de l'art ni de celle d'un critique spécialisé. Il tente de rendre compte de la stupéfaction, de la sidération ressenties devant l'oeuvre, et d'établir, en dehors de tout mimétisme, une écriture " plastique " qui s'élaborerait dans " un déplacement et une réappropriation inventive de ce que tel "procédé" pictural aura été en son espace propre, afin que sa logique en soit mise en lumière.
(Avec trente-trois illustrations en noir et blanc : Malevitch, Kandinsky, Laurens, Chagall, Braque, Ernst, Sima, Kolár, Camacho, Maselli, Steinberg, Klapheck, Pollock, Staël, Camilla Adami, Bram Van Velde, Michaux, Riopelle, Madden, Capdeville, Alechinsky, Bacon, Rainer, Saura, Le Brocquy, Rebeyrolles, Valerio Adami, Garache, Richez, Hajdu, Bury, Chillida, Calder.)
Figure majeure dans l'art du XXe siècle, Miró a laissé une oeuvre incontestée dont le rayonnement n'a cessé de s'étendre. Dix ans après sa mort et l'année du centième anniversaire de sa naissance, la parution d'un grand livre monographique s'imposait.Cet ouvrage, qui reprend partiellement les analyses du premier essai important de l'auteur sur Joan Miró publié en 1961 chez le même éditeur, a été considérablement remanié et enrichi : il tient compte, bien entendu, des deux dernières décennies du travail du peintre, mais aussi d'un grand nombre de documents découverts après sa mort - projets, carnets, textes, correspondance -, auxquels Jacques Dupin a eu accès en raison de ses relations privilégiées avec la famille de Miró, et des travaux d'historiens d'art et d'organisateurs d'expositions publiés depuis vingt ans.Loin de limiter son étude à la seule peinture de Miró, Jacques Dupin l'a élargie au champ, illimité, de ses curiosités. Sont ainsi abordées les incursions de l'artiste dans des territoires aussi différents que la sculpture, la lithographie, l'illustration de livres, la céramique, l'art mural, les décors et costumes pour la scène.
Une énergie créatrice dans le domaine plastique en parfait parallèle avec sa passion pour les mots, pour les jeux poétiques les plus audacieux. Car amoureux des objets, de la vérité fruste des matières, Miró s'est révélé aussi un artiste onirique, tendu vers ces constellations qui lui ont inspiré certaines de ses plus belles toiles.
C'est cet immense parcours que nous restitue Jacques Dupin avec une fraternelle complicité.Ami et collaborateur de Joan Miró dès 1956, Jacques Dupin a secondé le peintre dans ses travaux de gravure et de lithographie, dans la réalisation de catalogues, d'albums, de livres illustrés. Il a organisé de nombreuses expositions consacrées à Miró et a notamment été le commissaire de grandes rétrospectives à Zurich, Tokyo, Kyoto, Saint-Paul-de-Vence, Barcelone, Madrid, Paris, Lisbonne, Milan et New York. Après avoir préfacé et édité trois volumes du catalogue des gravures, il prépare le catalogue raisonné de l'oeuvre peint.Jacques Dupin a également publié un livre sur Alberto Giacometti, et de nombreux textes sur des artistes contemporains, écrits réunis et édités sous le titre L'Espace autrement dit. Enfin, son oeuvre de poète lui a valu de recevoir, en 1988, le Grand Prix national de poésie.
«Ce recueil contient tous les poèmes de Jacque Dupin postérieurs à 1969. Dehors se compose de deux parties violemment antithétiques. Le Cri est une poésie abrupte, violente, Le Calme qui lui succède apporte une éclaircie. Ces poèmes en prose ou cette prose poétique éclate et s'organise en vers libres. Puis, à mesure que le livre avance, les poèmes se déchiquettent et semblent mangés de silence et de blanc.» (Bulletin Gallimard, nov.-déc. 1975.)