Depuis la découverte, en 1981, de ce texte où Stig Dagerman, avant de sombrer dans le silence et de se donner la mort, fait une ultime démonstration des pouvoirs secrètement accordés à son écriture, le succès ne s'est jamais démenti. On peut donc, aujourd'hui, à l'occasion d'une nouvelle édition de ce " testament ", parler d'un véritable classique, un de ces écrits brefs dont le temps a cristallisé la transparence et l'inoubliable éclat.
Tous ceux qui doivent être aimés possèdent quelque chose.
Tous veulent être aimés pour ce qu'ils ne possèdent pas.
L'herbe pour sa hauteur, la pierre pour sa douceur.
La nuit pour son aube, le jour pour son crépuscule.
Pour son vol, le dindon exige de l'amour ainsi que l'albatros pour le pont qu'il foule.
Le rossignol veut être aimé pour sa beauté.
Mais je ne veux pas savoir pourquoi je désire être aimé.
1946. Un journaliste erre dans les ruines des villes allemandes anéanties par les bombardements. Il se nomme Stig Dagerman, il est là pour les besoins d'un reportage mais il est avant tout écrivain. Quelques semaines durant, il va observer, questionner, descendre dans les caves à la rencontre de ceux qui s'y terrent, s'interrogeant lui-même, méditant sur la souffrance et l'angoisse, la haine et la culpabilité. Peu à peu prend forme Automne allemand, ce livre qui, depuis sa parution chez Actes Sud en 1980, n'a cessé de s'imposer comme un témoignage de première force sur les conséquences de la défaite allemande et le destin de l'Europe.
On enterre une femme à deux heures... C'est par ces mots que commence L'enfant brûlé, le chef-d'oeuvre de Stig Dagerman, qui date de 1948. En effet, la mère est morte, laissant un mari et un fils de vingt ans. Qui était-elle, qu'était-elle en dehors de cette rumeur quotidienne dont elle remplissait la maison ? Trop tard pour le savoir. Désormais, son absence va prendre un poids que n'avait pas sa présence, suscitant entre père et fils d'étranges rapports faits de questions tacites, de suspicion mutuelle, de jalousie et de haine, mais aussi d'amour. Lire Dagerman - ce Rimbaud du Nord qui mit fin à ses jours en 1954, alors qu'il n'avait que trente et un ans et que, depuis longtemps, il se taisait - c'est lire un écrivain majeur, l'un de ces auteurs dont la voix a la vertu de raccourcir à la seconde les distances entre lecteur et auteur, instaurant entre eux les liens de complicité les plus étroits, commandant un irrésistible mouvement de sympathie. Ardent et précis à la fois, l'écrivain jette ses filets au plus profond de nous-mêmes, ramenant à la surface nos secrets les plus troubles et les moins avouables. Tandis que, sur fond de rues enneigées, d'archipels lisses et de soleils froids , des personnages ravagés de passion se dressent, à jamais inoubliables, comme dans un film qui serait le plus beau film d'Ingmar Bergman, ce compatriote de Dagerman, «l'enfant brûlé».
Paru en français pour la première fois dans Les lettres nouvelles de Maurice Nadeau en 1959, Dieu rend visite à Newton n'avait pas été réédité depuis 1976.
Le soir de sa mort, Newton reçoit la visite de Dieu qui s'annonce d'abord par un miracle en faisant croire au physicien que la loi de la gravitation n'existe plus. Au terme d'une discussion avec le Créateur, Newton propose à Dieu de le transformer en être humain pour qu'il puisse enfin éprouver la vie de ses créatures.
Cette nouvelle est le seul projet abouti que Stig Dagerman mena dans la période de silence littéraire qui marque les dernières années de sa vie. Ce devait être l'introduction d'un roman consacré à Almqvist, grand écrivain suédois du XIXe siècle. Fable sur le pouvoir, la loi divine et les lois humaines, Dieu rend visite à Newton pose avec acuité de multiples enjeux philosophiques et politiques : Dieu devenu humain doit, pour rejoindre ses créatures passer par une série d'épreuves initiatiques où il apprendra tour à tour l'humilité, la peur, la douleur ; Newton, figure symbolique du scientifique, prend la place du Créateur au moment de mourir, c'est désormais la science qui accomplit les miracles ; quant à Dieu, aussi bien disparaît-il puisqu'il devient un simple marin.
Au coeur du monde de Dagerman règne la peur. Elle nous saute au visage dès les premières pages du livre. Le serpent est la matérialisation de cette peur:il y a le serpent capturé par Bill, soldat de deuxième classe, et qui lui sert à s'imposer à son entourage; il y a le serpent qui, rapporté à la caserne par un des soldats, s'échappe de sa prison et plonge dans la terreur la poignée d'hommes restés dans cet immense bâtiment poussièreux et vide après le départ du régiment aux grandes manoeuvres. Est-ce le même? Cela n'a guère d'importance. Seule importe sa présence, la présence de la peur... Une oeuvre angoissée.
La contrebasse ou bien la flûte, chacun dispose d'un instrument avec lequel il pense pouvoir faire l'expérience de la liberté.
Il était une fois un homme qui possédait une contrebasse. Le soir, il s'enfermait dans l'unique pièce de son appartement et jouait pour lui-même, loin de sa jeune épouse. Il finit par savoir jouer assez bien pour devenir membre d'un orchestre de danse. Peu à peu, il devint tout à fait évident qu'il possédait l'étoffe d'un bassiste éminent. Bientôt, il s'enferma à clé le matin et le soir. Mais il arriva un jour que le couple eut un enfant, un garçon.
Au début, tout fut à peu près comme d'habitude : le père jouait, le fils pleurait et la mère ne disait rien. Mais le père finit par remarquer que l'enfant n'aimait pas cet instrument. Peu à peu le père se mit lui aussi à prendre en grippe les contrebasses. Il se mit à jouer de plus en plus mal et ses camarades lui dirent ce qu'il en était. - le petit d'abord, répondit-il ?
c'était silencieux dans la maison de grand-mère.
le petit garçon se glissait d'une pièce à l'autre. il cherchait le silence. le petit garçon poussait une porte, puis une autre, et écoutait. les portes étaient lourdes et les seuils étaient hauts et dorés. lui était petit et pas très rassuré. dans sa poitrine, son coeur tictaquait comme une pendule affolée. il se tenait maintenant sur le dernier seuil et, cette fois, il ferma les yeux. il tourna la tête et tendit l'oreille vers la chambre pour écouter si c'était là que le silence était assis.
il entendait tant de choses. il entendait un gros bateau rouler sur la mer au milieu des mugissements de la tempête. il entendait une petite fille qui pleurait parce qu'elle était morte, et qu'on ne pouvait pas voir, car elle était enterrée sous les fleurs. il entendait aussi les bottes de grand-père aller et venir dans la pièce en faisant craquer les larges lames du parquet. mais le silence, il ne l'entendait pas.
L'action se déroule ici en vingt-quatre heures dans un village où la fille du vieux Victor épouse le boucher, mais c'est d'un autre dont elle est enceinte. Les nombreux invités de la noce ont chacun, comme Hildur la nouvelle épousée, leurs drames et leurs secrets, et la bacchanale qui dure jusqu'au petit matin devient un cruel « jeu de la vérité » où le tragique se mêle au burlesque.
Ces poèmes satiriques se situent au point d'intersection des deux activités de Dagerman : la littérature et le journalisme. Il y traite en effet de l'actualité en poète et en anarchiste convaincu. Le journaliste a d'ailleurs survécu en lui à l'écrivain, une fois survenue la crampe qui l'a paralysé et cette crainte de nuire à son nom dont il parle dans Notre besoin de consolation.Le dernier de ces billets ("Attention au chien") est paru le lendemain de sa mort en 1954 dans Arbetaren, le journal anarcho-syndicaliste dans lequel il avait fait ses débuts et auquel il est resté fidèle toute sa vie et qui, par une de ces facéties de l'histoire, était le seul endroit de Stockholm où l'on n'était pas encore informé de son décès.
Le titre de ces billets (Dagsedlar) est un chef-d'oeuvre : il veut en effet dire, littéralement, billets quotidiens ; mais il n'est pas exclu d'y lire billets de Dag(erman) ni d'y voir une allusion à peine déguisée à l'expression populaire suédoise "donner un coup sur la gueule à quelqu'un". Jusque après son dernier souffle, Dagerman aura ainsi poussé ses "coups de gueule" et tapé sur toutes les formes de la bêtise humaine. Cela devrait suffire à faire de lui le perpétuel contemporain de tous les humains.
Réédition d'un recueil de nouvelles (publié en mars 1992) qu'on pourrait appeler "psychologiques". Le thème essentiel en est la solitude. Et quelle plus grande solitude que celle qui règne dans certains couples ? Elle est montrée sans complaisance sur des modes très différents : de la légèreté ironique à l'angoisse. L'analyse sociale bascule parfois dans le fantastique.
Des nouvelles où les souvenirs autobiographiques se mêlent aux choses vues. En toutes ces nouvelles Stig Dagerman révèle cet esprit lucide et angoissé, ironique et compatissant, cruel et sensible qui fait le prix et l'originalité de sa création. En préface à ce recueil, Lucie Albertini montre l'importance de Stig Dagerman et dresse la bibliographie complète des oeuvres de cet auteur.
Ecrit par un homme de vingt-trois ans qui regarde l'Europe entrer dans la guerre froide en rêvant d'une humanité solidaire, ce roman exprime le drame d'un monde où la fraternité n'est plus capable de renaître dans le coeur des hommes.
Ce roman fouille les angoisses de personnages aux prises avec les rôles sociaux des sociétés modernes. Stig Dagerman (1913-1954) fut salué dès son premier roman, Le Serpent, comme l'un des espoirs majeurs de la littérature suédoise. Son oeuvre mêle écrits littéraires et journalistiques, parmi lesquels le recueil La Dictature du chagrin, Ies romans L'Enfant brûlé et Ennuis de noces ; les nouvelles Tuer un enfant et le récit Automne allemand.
J'ai trouvé alors une direction vers un but qui était incontestablement inaccessible ; finalement cela n'avait guère d'importance puisque seule la lutte en elle-même et non pas le but signifie quelque chose, et puisque seule la joie du combat vous empêche de sombrer et non pas la joie du but - car la notion de " sombrer " existe même si elle n'a aucune signification concrète : sombrer c'est vivre inconscient et mourir heureux sans avoir lutté dans un but absurde, sombrer c'est mourir calmement et paisiblement sans avoir opposé une absurde résistance à la grande absurdité du monde.
Parler de l'humanité, c'est parler de soi-même.
Dans le procès que l'individu intente perpétuellement à l'humanité, il est lui-même incriminé et la seule chose qui puisse le mettre hors de cause est la mort. il se trouve constamment sur le banc des accusés, même quand il est juge. personne ne peut prétendre que l'humanité est en train de pourrir sans avoir, tout d'abord, constaté les symptômes de la putréfaction sur lui-même. personne ne peut dire que l'être humain est mauvais sans avoir lui-même commis de mauvaises actions.
Tout être vivant est prisonnier à perpétuité de l'humanité et contribue par sa vie à accroître ou à amoindrir la part de bonheur et de malheur, de grandeur et d'infamie, d'espoir et de désolation, de l'humanité.
Ce dont je rêve, comme la plupart de mes semblables, malgré mon impuissance, c'est que le plus grand nombre de gens possible comprenne qu'il est de leur devoir de se soustraire à l'emprise des organisations qui détiennent un pouvoir hostile à l'être humain, de réduire le potentiel d'anéantissement dont dispose le pouvoir en ce monde.
C'est peut-être la seule chance qu'ait l'être humain de pouvoir un jour se conduire comme un homme parmi les hommes, de pouvoir redevenir la joie et l'ami de ses semblables.
Ce recueil veut rendre au romancier et militant suédois stig dagerman (1923-1954) sa place parmi les auteurs anarchistes, nettoyer son désespoir politique de la gangue religieuse et commerciale dans laquelle le public français l'a vu emballé avec son texte notre besoin de consolation est impossible à rassasier.