Tous ceux qui doivent être aimés possèdent quelque chose.
Tous veulent être aimés pour ce qu'ils ne possèdent pas.
L'herbe pour sa hauteur, la pierre pour sa douceur.
La nuit pour son aube, le jour pour son crépuscule.
Pour son vol, le dindon exige de l'amour ainsi que l'albatros pour le pont qu'il foule.
Le rossignol veut être aimé pour sa beauté.
Mais je ne veux pas savoir pourquoi je désire être aimé.
« L'imaginaire », aujourd'hui dirigée par Yvon Girard, est une collection de réimpressions de documents et de textes littéraires, tantôt oeuvres oubliées, marginales ou expérimentales d'auteurs reconnus, tantôt oeuvres estimées par le passé mais que le goût du jour a quelque peu éclipsées.
Paru en français pour la première fois dans Les lettres nouvelles de Maurice Nadeau en 1959, Dieu rend visite à Newton n'avait pas été réédité depuis 1976.
Le soir de sa mort, Newton reçoit la visite de Dieu qui s'annonce d'abord par un miracle en faisant croire au physicien que la loi de la gravitation n'existe plus. Au terme d'une discussion avec le Créateur, Newton propose à Dieu de le transformer en être humain pour qu'il puisse enfin éprouver la vie de ses créatures.
Cette nouvelle est le seul projet abouti que Stig Dagerman mena dans la période de silence littéraire qui marque les dernières années de sa vie. Ce devait être l'introduction d'un roman consacré à Almqvist, grand écrivain suédois du XIXe siècle. Fable sur le pouvoir, la loi divine et les lois humaines, Dieu rend visite à Newton pose avec acuité de multiples enjeux philosophiques et politiques : Dieu devenu humain doit, pour rejoindre ses créatures passer par une série d'épreuves initiatiques où il apprendra tour à tour l'humilité, la peur, la douleur ; Newton, figure symbolique du scientifique, prend la place du Créateur au moment de mourir, c'est désormais la science qui accomplit les miracles ; quant à Dieu, aussi bien disparaît-il puisqu'il devient un simple marin.
Ces poèmes satiriques se situent au point d'intersection des deux activités de Dagerman : la littérature et le journalisme. Il y traite en effet de l'actualité en poète et en anarchiste convaincu. Le journaliste a d'ailleurs survécu en lui à l'écrivain, une fois survenue la crampe qui l'a paralysé et cette crainte de nuire à son nom dont il parle dans Notre besoin de consolation.Le dernier de ces billets ("Attention au chien") est paru le lendemain de sa mort en 1954 dans Arbetaren, le journal anarcho-syndicaliste dans lequel il avait fait ses débuts et auquel il est resté fidèle toute sa vie et qui, par une de ces facéties de l'histoire, était le seul endroit de Stockholm où l'on n'était pas encore informé de son décès.
Le titre de ces billets (Dagsedlar) est un chef-d'oeuvre : il veut en effet dire, littéralement, billets quotidiens ; mais il n'est pas exclu d'y lire billets de Dag(erman) ni d'y voir une allusion à peine déguisée à l'expression populaire suédoise "donner un coup sur la gueule à quelqu'un". Jusque après son dernier souffle, Dagerman aura ainsi poussé ses "coups de gueule" et tapé sur toutes les formes de la bêtise humaine. Cela devrait suffire à faire de lui le perpétuel contemporain de tous les humains.
Parler de l'humanité, c'est parler de soi-même.
Dans le procès que l'individu intente perpétuellement à l'humanité, il est lui-même incriminé et la seule chose qui puisse le mettre hors de cause est la mort. il se trouve constamment sur le banc des accusés, même quand il est juge. personne ne peut prétendre que l'humanité est en train de pourrir sans avoir, tout d'abord, constaté les symptômes de la putréfaction sur lui-même. personne ne peut dire que l'être humain est mauvais sans avoir lui-même commis de mauvaises actions.
Tout être vivant est prisonnier à perpétuité de l'humanité et contribue par sa vie à accroître ou à amoindrir la part de bonheur et de malheur, de grandeur et d'infamie, d'espoir et de désolation, de l'humanité.
Ce dont je rêve, comme la plupart de mes semblables, malgré mon impuissance, c'est que le plus grand nombre de gens possible comprenne qu'il est de leur devoir de se soustraire à l'emprise des organisations qui détiennent un pouvoir hostile à l'être humain, de réduire le potentiel d'anéantissement dont dispose le pouvoir en ce monde.
C'est peut-être la seule chance qu'ait l'être humain de pouvoir un jour se conduire comme un homme parmi les hommes, de pouvoir redevenir la joie et l'ami de ses semblables.
Ce recueil veut rendre au romancier et militant suédois stig dagerman (1923-1954) sa place parmi les auteurs anarchistes, nettoyer son désespoir politique de la gangue religieuse et commerciale dans laquelle le public français l'a vu emballé avec son texte notre besoin de consolation est impossible à rassasier.