C'est un chemin ample, et parfaitement cadencé, que William Cliff nous propose d'emprunter avec lui dans ce nouveau livre des origines. Avec le sonnet comme exigeante charpente formelle, il transporte page après page la simplicité puissante de son univers au rythme tranquille de sa langue limpide, rocailleuse et charnue.Des destins commence par revenir sur son enfance dans la petite ville wallonne de Gembloux, brossant les portraits intimes, souvent caustiques, de quelques-uns de ses proches. Il y a sa marraine - «une femme despotique qui avait mal au foie et criait son malheur», son parrain - «mon oncle bien-aimé qui a cessé de respirer / et dont le corps est cadenassé dans un coffre bien fermé», et de sa bonne-Maman, lectrice de romans policiers et fumeuse de tabac égyptien. Chacun a nourri à sa façon le destin poétique de l'auteur. Puis, la généalogie familiale laisse place à l'évocation de premiers émois érotiques auprès des garçons du village et du pensionnat, bientôt entremêlées de récits amoureux de l'âge adulte. Portée par un allant méditatif et la grande souplesse du vers, une sagesse désabusée et amusée se glisse dans les interstices de sa poésie narrative, entre un hommage à Baudelaire et un autre à Walt Whitman. La conscience du temps qui file surgit dans la banalité de scènes quotidiennes - un retour de nuit arrosée, une méchante chute sur les pavés - tandis que le poète solitaire voit la vie et la mort se tenir main dans la main, partout, dans la texture étrange des rencontres et des choses.Ainsi «la putrescence des oignons quand vient l'été / est nécessaire pour la floraison des fleurs / lesquelles fécondées donneront la jetée / des semences perdues au fond des profondeurs».
Dans Autobiographie, le lecteur est entraîné par le rythme, ses sursauts et ses plages de calme apparent, se trouve pris dans un flux où la détresse, l'homosexualité, la hargne, le dégoût de vivre et les images d'un bonheur fuyant composent une fresque narrative d'une rare puissance d'évocation. Il en est de même avec le Conrad Detrez, thrène ou tombeau - à la manière de la Délie de Maurice Scève - où Cliff évoque une amitié sans nuages avec l'auteur de L'Herbe à brûler, prix Renaudot 1978, mort du sida en 1985. Là aussi, le rythme et la forme sont essentiels. Le tragique de l'existence du " héros " constitue le miroir idéal où l'auteur se découvre et se constitue.
On retrouve dans ces sonnets l'inspiration habituelle de William Cliff, essentiellement autobiographique : l'enfance et la jeunesse wallonne, - avec des aperçus sur l'histoire récente de la Belgique comme la querelle linguistique -, le goût de l'errance, une galerie de personnages hauts en couleur, dans une tradition breughélienne mais avec en plus une manière de mélanger le sordide et le somptueux qui fait toute l'originalité du poète.
On retrouve aussi le rapport complexe, éminemment ca- tholique, à la religion comme contrainte mais aussi comme fonds culturel indépassable et indépassé, permettant de jouir de la culpabilité comme d'un piment supplémentaire dans le désir, notamment homosexuel.
Le corps, comme souvent chez Cliff, occupe une place importante. C'est le corps souffrant de la maladie, le corps grotesque qui ne sait plus s'il exulte ou s'il s'abîme dans ce que Bakhtine, à propos de Rabelais, appelait le « bas corporel », et enfin le corps glorieux du poète qui atteint, par éclats, à l'immortalité du créateur.
Cliff allie l'archaïque des danses macabres à la modernité médicale, et ce jeu entre le contemporain et le médiéval s'étend à tout son univers, aux décors dans lesquels il évo- lue où le chant du rossignol passe grâce à un téléphone portable et où se rejoignent des considérations sur les ta- blettes informatiques, les joints, la révolution et la rudesse de la vie en Wallonie dans les années 1950.
Virtuose, Cliff compose Matières fermées comme un unique poème, avec de subtiles variations de rythme en parallèle à une ligne mélodique unique et entêtante. On peut ainsi lire ces sonnets comme un roman en vers mais aussi comme un recueil où l'on pourrait picorer au hasard, servi par une langue qui n'appartient qu'à lui, immédia- tement reconnaissable : les tournures anciennes ou typi- quement belges se mêlent à une syntaxe plus moderne, et un maniérisme semblable à la poésie baroque du XVI e siècle se confond avec un argot contemporain.
La rime et l'alexandrin deviennent un moyen de jouer iro- niquement avec la langue et de renforcer un certain hu- mour, une certaine distance qui se confond de manière harmonieuse et habile avec un vrai lyrisme : « langage très ancien qui depuis tant de siècles/s'articule en dansant en syllabes espiègles. »
Le Temps pourrait finalement être le titre général de l'oeuvre, abondante et généreuse comme une fête breughélienne, du merveilleux et facétieux rimailleur wallon William Cliff.
Le temps dont il est question ici, c'est celui perdu et retrouvé de l'éternel explorateur de lui-même et du monde qu'est William Cliff, maître de la prosodie fantasque, subtil docteur de la rime et de l'assonance, enchanteur qui sait varier ses métamorphoses en créant le rythme entêtant qui vous invitera à le suivre là où il veut vous emmener, en l'occurrence sur les chemins de sa jeunesse extravagante : locataire improbable d'une mansarde bruxelloise où le précédent occupant a laissé ses seringues de toxicomane, professeur sans vocation dans un lycée plein de jolis garçons, inspecté plus qu'à son tour pour sa désinvolture pédagogique, oscillant entre la recherche d'un radiateur à gaz pour se réchauffer et l'épuisement d'une canicule sous les toits. Mais le poète s'en tire toujours, fragile et joyeux. L'inspecteur lui pardonne puisqu'il lit Rimbaud à ses élèves et célèbre avec eux l'aube d'été qu'on embrasse à pleine bouche.
Comme Raymond Queneau dans Chêne et Chien ou Georges Perros dans La Vie ordinaire, William Cliff s'inscrit dans la tradition des autobiographes de la strophe qui réconcilient la poésie et la narration. Et le sarcasme et l'autodérision, ici, se livrent à une partie serrée et sans vainqueur avec la nostalgie et le lyrisme provocateur.
Le Temps est complété par un codicille de 1996, un long poème sur Notre-Dame, adresse parnassienne et prophétique à cette cathédrale que Cliff aime parce qu'elle est « ferme et tranquille au milieu des ravages », comme un amer dans une existence flottante et incertaine.
Un jeune homme prend l'avion pour la première fois de sa vie et se lance dans un « audacieux voyage », sans tabous ni clichés. Au gré de son humeur et de ses rencontres, il arpente New York, Boston, San Francisco. Les grands espaces, les marches éreintantes et puis aussi une fascination, un sourire, une lumière, qui rafraîchissent et donnent de l'élan...
«Je suis né au début de la dernière guerre, au cours d'un hiver terriblement froid. Ma mère me portait déjà en elle alors qu'elle fuyait sur les routes de France avec les hordes de la débâcle. Le mot qui revenait sans cesse dans ses récits était "la peur", une peur qui vous prend dans le ventre et vous fait fuir absurdement n'importe où. Dès que la France eut capitulé, mon père a décidé de rentrer. C'est ainsi qu'au lieu de naître sous le chaud soleil du Midi, j'ai senti sur ma peau d'enfant nouveau-né le froid mordant de l'hiver du Nord. Ma mère avait déjà trois enfants. Nous subîmes, mes frères et moi, les maladies d'enfant mais chacun de notre façon. Moi, je vomissais sans vergogne et salissais mon lit. Mais ma mère me redonnait aussitôt un biberon que je buvais avec grand appétit, ce qui m'empêcha de m'affaiblir et hâta ma guérison. Cependant, j'avais également ma façon propre d'appréhender l'existence et, d'aussi loin que je me souvienne, je la ressentais comme quelque chose d'inopportun qu'on m'avait imposé sans me demander mon avis. Je ne crois pas que cela soit très original, mais c'était ainsi.» William Cliff, un des poètes les plus singuliers du siècle, signe ici son premier roman, relation de voyage au coeur de la province française et quête désenchantée d'un lieu où l'âme et le désir seraient enfin réconciliés.
et puisqu'à présent la page est tournée tant pis pour tout ce que l'on a perdu grâce à quoi plus léger dans la journée on marche à travers la ville rendue à notre errance de pauvre qui dure et du spectacle de la rue profite la voilà dessinée sur cette orbite qui n'en finit pas d'ourler les saisons et qu'il faudra brusquement que l'on qu'il avant qu'on ait achevé sa chanson.
« j'ai pris un bain j'ai taillé ma tignasse
j'ai coupé ma barbe avec un rasoir
j'ai regardé dans la glace ma face
et vu qu'elle n'était pas belle à voir
alors quittant le carré du miroir
j'ai levé le regard vers les nuages
et qu'ai-je vu dans cette lente nage
de vapeurs finement illuminées ?
nothing nothing sauf qu'en moi le langage
continuait sa démarche obstinée »
William Cliff.