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Dans un pays imaginaire, un roi prend le pouvoir après une guerre civile et oeuvre à l'épanouissement de la culture, des sciences et des arts. Personne ne connaît son nom ni son visage. Son rival, guide intellectuel des radicaux, rêve d'une revanche. Pendant ce temps se joue un drame domestique : un ancien rebelle revenu d'exil découvre que sa femme est amoureuse d'un certain Monsieur Morn...
En dépit de sa tonalité parodique, signature bien connue de Nabokov, cette pièce aux accents shakespeariens est une tragédie à part entière, écho poignant d'un drame personnel (le père de Nabokov fut assassiné en 1922), dans le sillage de la révolution russe et de la guerre civile.
Inédite en français, La Tragédie de Monsieur Morn a été écrite durant l'hiver 1923-1924. Elle n'a été ni jouée ni publiée du vivant de l'auteur. -
Août 1991. Des communistes de la vieille garde opposés aux réformes de Gorbatchev tentent un coup d'État. Porté au pouvoir par la tourmente, Boris Eltsine reprend le contrôle du pays, qui ne tardera pas à se disloquer. À Moscou, devant le bâtiment qui abritait la police politique, la statue de Dzerjinski, symbole de soixante-dix ans de répression, est déboulonnée. « On partageait alors tous l'impression que le nouveau pays naissait ici et maintenant. Nous y étions déjà, il suffirait d'un petit effort pour nous débarrasser de notre triste et sombre héritage. Il suffirait de dire la vérité sur le passé, et l'erreur ne se reproduirait plus, l'histoire prendrait une voie nouvelle. » Le héros, en quête de ses racines, part à la rencontre de ces fantômes et de leurs vérités dérangeantes, antagonistes et dangereuses pour les vivants. Il sillonne les contrées dévastées de l'ex-URSS, véritable voyage dans l'au-delà, mais un au-delà bien réel où les injustices anciennes ont pavé le chemin des violences futures. Bientôt, les guerres de Tchétchénie sonneront le glas de l'illusion démocratique et de la communauté des « hommes d'août » née sur les ruines du communisme. De fait, loin d'avoir disparu, Dzerjinski continue d'exercer une emprise sur le pays.
Roman d'aventure ? Roman policier ? Récit fantastique ? Lebedev réaffirme son talent de conteur dans cette fresque où le collectif se mêle à l'intime. Les vestiges se transforment en prémonitions, et les espaces russes se déploient, entre histoire et hallucination.
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Les deux récits présentés ici, Au diable vauvert (1914) et Alatyr (1915), offrent le tableau d'une Russie provinciale, burlesque et colorée, à la veille du cataclysme de la Première Guerre mondiale pour l'un, et de l'apocalypse révolutionnaire pour l'autre. Historiquement daté - les allusions à l'Alliance franco-russe permettent d'en situer l'action entre 1892 et 1914 -, Au diable vauvert est dépourvu d'indications topographiques précises. Il évoque le quotidien d'un détachement militaire quelque part aux environs de la frontière chinoise, du côté de la mer du Japon, en un lieu accessible uniquement par la mer. La Censure devait interpréter ce récit comme une " image profondément insultante des officiers russes ". Alatyr, ville inventée dont le nom est aussi celui de la pierre légendaire des contes russes, vient compléter l'exploration imaginaire de l'ancienne Russie effectuée par l'auteur. Paradis originel qui, bien souvent, s'apparente à un enfer, la cité d'Alatyr est peuplée de bêtes craintives ou sauvages. La Censure reprochera à Zamiatine d'y avoir campé des personnages " qui n'ont pas figure humaine ". Evgueni Zamiatine est perçu par nombre de ses contemporains, dès la parution de ses premiers récits, comme un nouveau Gogol, ce qui ne doit rien au hasard. En effet, à travers les plaisanteries grasses des soldats d'Au diable vauvert ou les rêves des jeunes filles d'Alatyr, Zamiatine fait rire, de même que Gogol dans Les Ames mortes. Mais l'auteur qui, de son propre aveu, souffre d'hérésie chronique et tient la vie pour une tragédie, rappelle à la fin de chaque récit que son rire est avant tout une politesse du désespoir.
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Le roman de Vladimir Sorokine s'ouvre sur des pages marquées au coin de la grande littérature russe du XIXe siècle.
Au fil du récit et de l'action, l'auteur revisite, tour à tour, Pouchkine, Tolstoï, Tourgueniev et bien d'autres. La Russie des profondeurs, intemporelle, apparaît riche, chaleureuse, drôle, émouvante, aimant le bon boire et le bien manger. La maestria de Sorokine est ici éblouissante. Mais imperceptiblement le tableau se déconstruit et emporte brutalement le héros vers un destin contemporain et un dénouement stupéfiant qui laisse le lecteur effaré.
Connu dans les milieux non-conformistes depuis la fin des années soixante-dix, Vladimir Sorokine devient un écrivain russe majeur après l'effondrement de l'Union soviétique. Ses romans, nouvelles, récits et pièces de théâtre sont de véritables événements, suscitant louanges, critiques acerbes, contestations, indignation. Ecrit dans les années 1985-1989, Roman est un des chefs-d'oeuvre de l'auteur.
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Schubert à Kiev aborde un thème qui, dans les lettres russes contemporaines, est toujours frappé de tabou: la collaboration avec l'occupant nazi d'une partie de la population soviétique.
L'action débute au printemps 1942. Les espoirs que les nationalistes ukrainiens avaient placés dans le Reich ont fait long feu. L'éphémère indépendance de leur pays a laissé place à un régime de terreur. Tous les Juifs de la ville ont été massacrés à Babi Yar, à l'exception de ceux qui se cachent ou qui ignorent leur origine. Valentina Maleïeva, pianiste de l'opéra, qui élève seule sa fille Pania, fait l'objet d'un chantage de la part du metteur en scène : ayant découvert l'identité "mortellement dangereuse" du père de la jeune fille, une beauté de dix-huit ans, il tente de contraindre la mère à une liaison à trois. C'est l'opéra - la musique - qui constitue l'épicentre de l'action romanesque, et apparaît comme le révélateur d'une époque et d'un tournant historique. En effet, les destinées humaines, particulièrement poignantes dans ce texte, ne sont pas l'unique enjeu du livre : il s'agit aussi de mettre en lumière l'écroulement de la culture romantique dont le nazisme représente la dernière étape et Schubert le symptôme par excellence.
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Têtes interverties est un roman policier. Au début des années quatre-vingt, après un an passé en Israël, le narrateur, un jeune violoniste russe originaire de Kharkov, est engagé comme co-soliste dans l'orchestre d'opéra d'une grande ville d'Allemagne de l'Ouest, Zickhorn. Par un incroyable concours de circonstances, il découvre que son grand-père - également violoniste et qui, pour sa famille, avait été fusillé par les Allemands en 1941 -, a travaillé dans l'orchestre de Rotmund en 1943, protégé par le grand compositeur nazi Gottlieb Kunze. Les recherches qu'il tente alors auprès des proches de Kunze l'entraînent dans un labyrinthe où de nouvelles énigmes et des révélations, notamment sur sa propre famille, l'attendent à chaque pas. Nous recommanderons au lecteur de ne pas chercher Zickhorn sur la carte. Il serait vain aussi de se plonger dans des encyclopédies en quête de la biographie de Kunze, malgré toute la vraisemblance de ce personnage, enraciné dans la vie musicale du IIIe Reich et le destin de l'Europe, ami de Goebbels, rival de Strauss, cible des critiques de Stravinski, auteur de l'opéra Les Têtes interverties auquel Thomas Mann empruntera son titre pour un de ses livres. Sous cette forme captivante, l'auteur, lui-même premier violon à l'opéra de Hanovre, enchevêtre sur un mode humoristique sa méditation sur l'exil, la question des origines et l'histoire de la culture européenne.
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Nous autres, paysans ; lettres aux soviets, 1925-1931
Collectif
- Verdier
- Poustiaki
- 7 Octobre 2004
- 9782864324256
À la fin des années vingt, les Soviets prennent conscience qu'ils n'auront pas la maîtrise de la Russie, tant qu'ils ne contrôleront pas les campagnes.
Le pays est alors très majoritairement rural, et le monde paysan vit encore en parfaite autarcie, presque complètement coupé de la civilisation urbaine qui lui semble étrangère, sinon hostile.
En 1927, le XVe Congrès du Parti trace la " ligne générale " mise en place et développement d'exploitations agricoles collectives. Deux ans plus tard, Staline décide de brusquer les choses : la collectivisation sera immédiate, totale, forcée.
Par vagues, quelque cinq millions de paysans, prétendument " koulaks " vont être déportés, entre 1929 et 1933, vers l'Oural, la Sibérie, le Kazakhstan. Il en résultera une effroyable famine et la destruction de l'agriculture russe pour des décennies. Le recueil proposé ici se compose de cinquante lettres de paysans russes, adressées à des représentants du pouvoir ou à la Krestianskaïa gazeta (le " Journal paysan ").
Elles montrent le grand malentendu qui s'est installé d'emblée entre le nouveau pouvoir instauré par Octobre 17 et une paysannerie qui, dans son ensemble, n'était pas hostile au changement, voire le souhaitait. Mais pas de la même façon que les Bolcheviks. On sera frappé par l'écriture de ces lettres. Elles mêlent la maladroite naïveté et la franchise colorée d'individus qui viennent, peu ou prou, d'accéder à l'alphabet (rappelons qu'en 1926, plus de la moitié des paysans russes est encore analphabète).
Elles révèlent l'attitude du peuple russe des campagnes à l'égard de toute forme de pouvoir, attitude où se confondent confiance presque enfantine et méfiance quasi viscérale.
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S'il fallait user des catégories littéraires classiques, Apologie de la fuite pourrait être lu comme un roman d'éducation : c'est l'histoire d'un adolescent aux prises avec le monde des adultes. Preis a perdu sa mère lorsqu'il était bébé (on lui a dit qu'elle s'était noyée), et a été élevé par son père, remarié avec une indigène. Preis est peintre. Son enfance s'est déroulée dans la contrée imaginaire d'Ijma, située dans une région perdue de la Sibérie et peuplée pour une part d'indigènes, mais surtout de Juifs soviétiques, relégués ici en 1953, comme ce fut prévu par Staline. Livrés à eux-mêmes, les survivants reproduisent un mode de vie qui devient la quintessence du modèle soviétique. Le langage, surtout, est l'objet d'étranges déformations : les mots empruntés à la propagande, transportés loin de la source du pouvoir, vivent leur aventure propre, qui atteint à la folie.
Le livre, sur lequel plane l'ombre de Chostakovitch, a une structure musicale. Il conjugue une réflexion des plus subtiles sur la question de l'identité à une aventure de langage déstabilisante cocasse et jubilatoire.
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Originaire de la région de Vologda, Vladimir Guiliarovski (1853-1935) baguenaudera pendant dix ans à travers la Russie, s'improvisant successivement haleur sur la Volga, bouvier, pompier, ouvrier, acteur de province... Insatiable touche-à-tout, il s'ancrera enfin à Moscou en 1881, où il embrassera la carrière de journaliste. Moscovite non pas de souche mais de conviction, Guiliarovski devient, selon l'expression de Tchékhov, " le roi des reporters " de sa ville d'adoption, côtoyant les célébrités des Arts et des Lettres comme les pires représentants de la pègre. Aussi, au début des années vingt, lorsque, suite aux expériences d'urbanisme entreprises par le nouveau régime, la ville change radicalement de visage, Guiliarovski se lance-t-il un défi monumental: faire revivre les lieux, les gens et les savoureux parlers d'une Moscou disparue. Il en résultera le présent ouvrage, guide mythique de la mère des villes russes, qu'il mettra près de vingt ans à rédiger. Tout au long de ces chapitres, le lecteur parcourt les lieux légendaires de la capitale russe, ses halles, ses bains, ses palais et ses cours des miracles. Il rencontre les grands acteurs de son histoire, mais aussi de mémorables anonymes (cuisiniers, cochers, archidiacres, aigrefins, limiers...) qui, marquant le chroniqueur, ont intégré le patrimoine moscovite. Moscou n'a pas été ingrate envers son fidèle admirateur: en 1966, la Deuxième rue des Bourgeois est rebaptisée rue Guiliarovski, incluant cet éloquent enthousiaste dans sa toponymie et le rangeant parmi les classiques de sa littérature.