Où est mon pays ? s'interrogeait le poète André Frénaud. Poser la question, c'est déjà un peu y répondre.
Certes. Alors, où est la Champagne-Ardenne ? Dans les musées, cela ne fait aucun doute.
Cette affirmation, aux accents de certitude, je ne l'énonce pas pour faire triompher un quelconque besoin de la cause mais parce qu'elle est simplement le fruit de l'expérience. La mienne, qui ne demande qu'à devenir la vôtre.
Il y a des invitations qui ne se refusent pas. Celle dont il est question ici est assez inclassable. Sans doute est-elle promenade à l'aventure, voyage dans le passé et dans l'avenir, rencontre avec l'Art et l'Histoire, vivifiés par la vérité documentaire des collections. Sans doute aussi est-elle faite d'un peu de l'âme des lieux et de la nostalgie du temps qui passe autant que de la force de l'instant présent.
Si le bonheur, c'est de connaître où est son pays, alors je suis un homme heureux. En passant par les musées, j'ai écouté la Champagne-Ardenne me raconter sa propre histoire, qui est un peu la mienne.
Il peut y avoir quelque complaisance à vanter les mérites d'une ville, simplement parce que cela flatte l'égo de ses habitants, sans s'assurer que d'autres n'ont pas, plus qu'elle, joué un rôle déterminant ou tenu une place centrale dans l'histoire de notre pays. Avec Reims, on ne court pas ce risque. Dans son surnom même, la Cité des Sacres porte en elle le poids de sa dimension historique et spirituelle. Il se trouve que c'est ici, au coeur de cette Champagne qui donnera plus tard le plus fameux et pétillant des breuvages, que le coeur de la France ou de ce qui allait le devenir a choisi de battre, du baptême de Clovis à la construction de Notre-Dame, la nôtre, de la geste johannique aux trente-et-un sacres royaux qui, de Louis Ier le Débonnaire à Charles X, jalonnent l'histoire de France.
À son corps défendant, Reims ajoute à ces hauts faits et lieux de s'être trouvée à l'épicentre des deux guerres mondiales au point qu'une partie de l'histoire du monde s'y joua autant de fois. Elle n'en demandait certes pas tant. Mais sans la souffrance dont elle se forgea une âme douée pour la renaissance et les reconstructions, Reims ne serait pas aujourd'hui devenue ce qu'elle est. Cette élégante ville où l'histoire et les arts, y compris culinaires, l'architecture, le goût des espaces harmonieux et d'un certain art de vivre semblent, une fois pour toutes, s'être réconciliés. Par l'image et le mot, ce livre invite à le (re)découvrir.
Ceci n'est pas un livre d'Histoire, mais d'histoires. Ces petites histoires qui ont fait la grande. Celles qui faisaient dire à Prosper Mérimée : Je n'aime dans l'Histoire que les anecdotes, alors que les frères Goncourt, Jules et Étienne, jugeaient, dédaigneux, que L'anecdote, c'est la boutique à un sou de l'Histoire... Les appréciations sur le sujet restent probablement autant partagées aujourd'hui, bien que personne ne puisse contester l'avis d'Alfred de Vigny : L'Histoire est un roman dont le peuple est l'auteur. Ainsi ce livre aurait-il pu aussi bien s'intituler : Le grand roman des Ardennes. Car ce sont les gens d'ici, célèbres ou anonymes, qui ont été les héros, au fil des siècles, de ces histoires que raconte Bernard Chopplet et que Jean-Marie Lecomte, avec le talent qu'on lui connaît et l'originalité que lui permet sa connaissance du département, met véritablement en scène.
Sont-elles exactes ? Il vaut mieux laisser la question aux érudits locaux qui raffolent de ce genre de petits plaisirs et se dire, comme Ernest Renan, que L'Histoire est une petite science conjecturale, une des façons dont les choses ont pu se passer ou comme Napoléon que l'Histoire est une fable sur laquelle tout le monde est d'accord. Et surtout tenir compte de l'avertissement humoristique d'Anatole France : Les livres d'histoire qui ne contiennent aucun mensonge sont très ennuyeux...