En matière de football, chez les Achuar, en Amazonie, il ne s'agit pas du tout que l'un des camps triomphe sur l'autre. Comme dans de nombreuses sociétés non modernes, ce qui compte, c'est le jeu en soi, capturer la balle et marquer un but tout en s'arrangeant pour qu'il n'y ait pas d'inégalités au terme du jeu.
Philippe Descola, grande figure de l'anthropologie contemporaine, place face à notre rapport au sport et au jeu celui des sociétés amérindiennes. L'Occident a imposé au reste du monde le modèle du sport de compétition, qui porte en lui inégalités, individualisme et sentiment national, tout en créant un sens du commun.
Dans la lignée de sa réflexion sur le dualisme nature-culture, l'auteur s'empare de la question de l'hybridation de l'homme et de la machine.
La règle sportive peut-elle être universalisable ? Elle peut l'être, certainement, en ce qu'elle peut valoir en tout lieu. En revanche, elle ne l'est sans doute pas au sens moral du terme. Peut-on universaliser comme élément moral « plus vite, plus haut, plus fort » et que le plus fort l'emporte selon la maxime « Que le meilleur gagne ! » ?
Pour Axel Kahn, le sport est un terrain d'ombre et de lumière. À la suite d'Emmanuel Kant, il rappelle ainsi que les hommes ne sont pas des choses - et si les choses, la performance ou les records ont une valeur toute relative, les personnes, les athlètes ont une valeur absolue. « Agis de telle sorte que tu traites toujours l'humanité, en toi-même et en autrui, comme une fin et jamais comme un moyen. »
Le sport aurait-il le diable au corps ? Jusqu'où acceptera-t-on l'artifice technique ? Un avenir prothétique se dessine par le biais d'exosquelettes. En rendant interchangeables tous les organes du corps, y compris des parties du cerveau, du visage, le sujet se trouve face à la question de son identité et de sa permanence.
Si l'impératif de performance pèse dans le sport plus encore qu'ailleurs, et particulièrement dans le très haut niveau en projetant un corps indéfiniment perfectible, c'est la société tout entière qui est aujourd'hui traversée par l'obsession de la santé parfaite, de la jeunesse et de la beauté éternelles, occultant ainsi la souffrance, la mort, le handicap et la vieillesse. Que voulons-nous faire de notre propre corps ? Tout ce qui est techniquement réalisable doit-il se réaliser ? Par le prisme du sport, ces questions éthiques fondamentales nous sont posées.