La vie a bien changé à Guilas, paisible bourgade d'Ouzbékistan, depuis que le train s'y arrête : les tribus d'Asie centrale, les voyageurs de toutes origines, et bientôt les populations déportées par le régime communiste y côtoient les autochtones, forcés de s'habituer à leurs nouvelles conditions de vie.
Pendant la seconde guerre mondiale, période sur laquelle s'ouvre cette étonnante polyphonie, le coeur de la petite ville bat à l'auberge de la gare : les bras cassés qui sont restés à l'arrière - Oumareli l'Usurier, réformé pour avoir prix seize kilos pendant son séjour en prison, Tolib le Boucher, si maigre qu'on lui confie le ravitaillement du village, et Koutchar la Tchéka, le représentant de la police politique qui n'a qu'une bonne oreille pour faire son travail de mouchard - y égrènent ragots et anecdotes.
Exilés, adultères, orphelins, profiteurs, aventuriers et mendiants de tout poil défilent en une chronique débridée, véritable plongée ethnographique dans un microcosme où l'arrivée du train n'a pas été le seul traumatisme. Le matérialisme historique a en effet pulvérisé la vieille tradition soufie et les habitudes culturelles profondément ancrées d'un islam traditionnel : désormais, il faut choisir entre bigamie et déportation, transformer les postes de fonctionnaires en charges héréditaires, bref, les petits arrangements avec le communisme sont la matrice de multiples histoires, tragiques ou grotesques, qui s'enchaînent comme autant de motifs dans le tapis.
Car ce sont bien le charme et la singularité de ce livre exubérant, construit à la manière des contes des Mille et une Nuits, que de faire émerger de la juxtaposition des histoires un univers singulier, et d'inviter son lecteur à un éblouissant voyage au pays des contes et légendes d'une Asie centrale méconnue.
Hamid Ismaïlov est né en Asie centrale en 1954. Il a quitté l'Ouzbékistan en 1994 pour s'installer finalement à Londres, où il dirige à la BBC le service Asie centrale et Caucase, après avoir vécu en Russie, en France et en Allemagne. Il écrit à la fois dans sa langue natale, l'ouzbek, et en russe. Le Chemin de fer est son premier livre traduit en français.